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L'HEREDITE SYPHILITIQUE
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MAR - 7 1922
L'HEREDITE SYPHILITIQUE
Messieurs,
Je me propose de consacrer quelques-unes des conférences de cette année à l'étude de l'hérédité syphilitique.
Il serait vraiment inutile, je crois, de vous dé- montrer par un long préambule l'importance de cette grande, complexe et difficile question. Qu'il me suffise de vous dire d'une façon toute sommaire qu'un triple intérêt s'y rattache, à savoir :
1° Intérêt scientifique, ressortissant à toute une série de questions les plus dignes de fixer l'attention et les méditations des médecins, telles que les sui- vantes, par exemple :
La syphilis est-elle héréditaire ?
Si elle est héréditaire, comment l'est-elle ? — De par le père, de par la mère, de par l'influence combinée des deux géniteurs ?
FouRNiER. — L'' Hérédité sypliilitique. I
L HEKEDITE SYPHILITIQUE.
A quelle étape et jusqu'à quelle échéance de sa longue carrière la syphilis est -elle susceptible d'exercer son action héréditaire ?
Sous quelles formes morbides se traduit cette transmission par hérédité ?
Est-il des correctifs connus à cette influence héréditaire? — Le temps, en particulier, sufïit-il à l'épuiser? — Le traitement spécifique peut-il l'atté- nuer, voire l'éteindre?
Et ainsi de suite pour tant et tant d'autres pro- blèmes qu'il serait superflu d'énoncer quant à pré- sent, mais qui s'imposeront à notre examen dans l'exposé qui va suivre.
2° Intérêt pratique. — N'est-ce pas, en toute évidence, à la solution des divers problèmes précé- dents que se rattache celle de multiples et impor- tantes questions de pratique, toutes corrélatives au même sujet? A savoir, pour citer encore au préalable quelques exemples :
Comment diminuer, voire conjurer, s'il est pos- sible, l'influence héréditaire de la syphiJis?
Quand et dans quelles conditions un homme qui a contracté la syphilis peut-il, médicalement, aspirer au mariage?
Faut-il traiter une femme syphilitique en état de grossesse ? — Et comment ?
Faut-il traiter, bien que saine, une femme en- ceinte qui a conçu un enfant d'un mari syphili- tique ?
Peut-on confier à une nourrice un enfant issu
GENERALITES.
crun couple syphilitique, d'uue mère syphilitique, d'un père syphihtique?
Etc., etc.
3° Intérêt socvV//, oserai-je dire en troisième lieu. Car ce mot a-t-il rien d'exagéré en face de l'ef- froyable mortalité que l'hérédité syphilitique inflige aux familles? Alors que cette mortalité s'élève jus- qu'au rang d'un véritable facteur de dépopulation, ainsi que je le démontrerai ultérieurement, ne constitue-t-elle pas un dommage public et une véritable calamité sociale ? N'appelle-t-elle pas, autant qu'elle les légitime, des mesures de prophy- laxie sociale contre un fléau susceptible de tels désastres ?
Donc, et sans qu'il y ait besoin d'insister davan- tage, vous comprenez de reste qu'à des titres divers la question de l'hérédité syphilitique est de celles qui s'imposent à l'étude du médecin et de l'hygié- niste en raison même des conséquences qu'elle comporte, conséquences multiples et variées, toutes intéressantes, quelques-unes même capitales, ainsi que vous en jugerez bientôt.
Certes, cette question n'est pas neuve, puisqu'elle remonte jusqu'à Paracelse, qui paraît avoir été le premier sinon à comprendre, au moins à affirmer d'une façon catégorique le caractère héréditaire
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
du mal français, lequel, parfois, dit-il, p,t morbus hereclitarius et transit a pâtre ad fllium. Certes, elle a été, depuis plus de trois siècles, le sujet de nombreux et fort intéressants travaux. Gardez- vous cependant de la considérer comme une ques- tion jugée, épuisée, sur laquelle toute discussion soit close. Bien loin de là ! A coup sûr, quelques- uns des multiples problèmes qu'elle comporte ont été élucidés par ce labeur de trois siècles ; mais, à côté de ceux-là, que d'autres restent encore à l'étude et attendent leur solution ! Pour un peu de lumière péniblement acquise, que d'ombre encore à dissiper ! Nos prédécesseurs éloignés n'ont fait, pour ainsi dire, que défriclier le terrain. La labo- rieuse génération de ce siècle, bien qu'elle ait poussé plus avant la tranchée, n'a encore accompli, en dépit de ses efforts, qu'une partie de l'œuvre totale à réaliser, et, pour avoir beaucoup fait, elle n'en a pas moins laissé beaucoup à faire à la géné- ration suivante.
De cela ne soyez pas trop étonnés, messieurs ; car il est à cette imperfection de nos connaissances en la matière une double raison que voici :
C'est^ d'abord, que la question de l'hérédité syphi- litique est essentiellement complexe et singulière- ment fertile en difficultés de toute espèce. Elle com- porte quantité de problèmes et de problèmes d'un genre tout spécial, dont plusieurs ne peuvent trouver leur solution que dans la clientèle de ville et grâce à la fréquentation prolongée des mêmes familles.
GENEH ALITES.
C'est, en second lieu, que cette question est de celles qui s'étendent et s'élargissent à mesure qu'elles sont plus explorées. Fort souvent, en l'espèce, une difficulté vaincue, c'est-à-dire une vérité découverte, n'a servi qu'à mettre en perspective un obstacle nouveau, c'est-à-dire un problème nouveau, au- quel on n'avait même pas songé jusqu'alors. Sans compter que plus d'une fois le bilan de ce que l'on considérait comme des vérités acquises s'est trouvé soudainement réduit par l'avènement d'un fait inattendu, venant ébranler ou ruiner d'an- ciennes croyances. Plus d'une fois la vérité de la veille est devenue de la sorte l'erreur du lende- main. C'est ainsi, pour prendre un exemple, que l'authenticité de la syphilis héréditaire tardive a mis à néant certains résultats qu'on avait pu re-- garder comme démontrés et définitivement acquis. On vivait sur cette croyance qu'un enfant resté indemne de toute manifestation syphilitique au cours de ses premiers mois était bien sûrement et définitivement un enfant sain. Puis, aujourd'hui, voici que cedit enfant peut n'être en réalité qu'un sujet syphilitique chez lequel l'infection ne se révé- lera que tardiveinent^ chez lequel la syphilis n'en- trera en évolution apparente que dans un avenir plus ou moins éloigné, c'est-à-dire cinq, dix, quinze ans après sa naissance, voire plus tard en- core peut-être. Et alors, en face de ce fait nou- veau, de cette acquisition scientifique née d'au- jourd'hui, pour ainsi dire, que sont devenus les
6 l'hérédité syphilitique.
résultais et les statistiques de la veille, qui nous représentaient comme sûrement indemne de toute tare héréditaire un enfant épargné au cours du premier âge? Autant de labeurs perdus; autant de travaux à recommencer et dans des conditions nouvelles d'observation.
Aussi bien, pour ces raisons et d'autres encore que .je passerai sous silence, l'exposé qui doit suivre contiendra-t-il — soyez en prévenus et n'en éprouvez point de surprise — , à côté de dé- monstrations acquises et probablement, voire sû- rement définitives, de nombreux points encore indéterminés, controversés et controversables, au total incertains, litigieux; sans parler même de nombreuses lacunes qu'il est encore impossible de combler dans l'état actuel de nos connaissances.
Aussi bien, donc, mon rôle sera-t-il double en définitive, et c'est ainsi, je pense, qu'il m'incombe de le comprendre^ à savoir :
D'une part, vous exposer ce que d'ores et déjà nous savons — ou croyons savoir;
D'autre part, vous signaler ce que nous ne savons pas^ ce qui reste à l'étude, et vous le signaler avec non moins de soin, en vue d'appeler sur ces obscu- rités et ces desiderata du sujet l'attention, les re- cherches, les efforts des observateurs.
Un mot encore pour en finir avec ce préambule.
Il va sans dire que, pour ces conférences, je
m'inspirerai largement du stock immense de travaux
DELIMITATION DU SUJET.
de mes prédécesseurs et de mes contemporains, travaux dont je ne cite aucun pour l'instant parce que j'aurai plus tard à en citer bon nombre en leur lieu et place. Mais, vous le pressentez de reste, j'aurais été bien imprudent et bien osé d'aborder un tel sujet, si je ne m'y étais préparé — et de longue date — par des recberches personnelles. J'apporte donc à la question mon contingent de matériaux personnels. Depuis plus de vingt-cinq ans je me suis efforcé de pénétrer quelques-uns des mystères de cette si difficile question de l'hérédité syphili- tique, et j'ai collectionné dans ce but plusieurs centaines d'observations sur la matière (six cents environ). Ces observations, que j'ai recueillies au jour le jour, sans esprit préconçu, sans attache à aucune doctrine, à aucun système, j'ai le droit de les considérer, sauf erreur diagnostique de ma part, comme l'expression de la vérité prise sur nature. C'est à cette source d'informations cliniques que je puiserai le plus souvent, pour la discussion des nombreux problèmes que nous allons avoir à exa- miner.
II
Ces quelques préliminaires établis, entrons de suite en matière.
Et, tout d'abord, délimitons bien exactement notre sujet.
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Je viens vous parler, vous ai-je dit, de l'héré- dité syphilitique. Or, que faut-il entendre par ce terme? Qu'est-ce, pour nous, que l'hérédité syphi- litique ?
Chaque science a sa langue, et la médecine sur- tout a la sienne, dont les mots ont parfois un sens, une attribution, qu'ils ne comportent pas dans le langage usuel. C'est précisément le cas ici.
Hérédité, dans le langage courant, n'a pas d'ac- ception plus limitée que celle-ci : transmission des ascendants aux descendants, des géniteurs aux enfants. Hérédité, comme l'enseignent tous les dic- tionnaires, se dit de « la condition organique en ce vertu de laquelle les dispositions, les manières « d'être corporelles ou mentales, physiologiques ce ou morbides, passent des parents aux enfants ».
Si bien que, pour un homme du monde, la transmission d'une maladie quelconque par voie de génération (la transmission de la goutte, par exemple, d'un père à son enfant) constitue un acte d'hérédité et détermine ce qu'il convient d'appeler une maladie héréditaire.
Si bien aussi que, pour le même homme du monde, une maladie, telle que la variole, venant à être contractée par une femme en état de gros- sesse, puis à être transmise au fœtus, sera égale- ment une maladie héréditaire, pour cette raison qu'elle aura « passé » de la mère à l'enfant.
Voilà, pour le langage courant, pour la langue que nous parlons tous en dehors de nos amphi-
DELIMITATION DU SUJET.
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théâtres ou de nos livres, la signification élastique du mot hérédité.
Mais, en médecine, dans la langue médicale, le mot hérédité com^porte une signification autre, plus circonscrite, mieux définie.
L'hérédité, pour le médecin, n'est plus « tout ce qui passe des ascendants aux descendants y. ; c'est seulement (et cela d'une façon convention- nelle, car les mots ne sont jamais qu'affaire de convention) ce qui est transmis lors de la fécon- dation. C'est l'apport fait au germe, au futur em- bryon, des qualités propres aux deux cellules géné- ratrices (spermatozoaire et ovule), au moment où de la conjonction de ces deux éléments résulte l'acte mystérieux de la fécondation.
Voilà, exactement et strictement, ce qu'est l'hé- rédité au sens médical du mot.
En sorte qu'il n'est pour le germe, pour l'ovule fécondé, pour l'être créé, d'autres dispositions hé- réditaires que celles qui préexistent, chez ses as- cendants, à l'acte de la fécondation.
En sorte qu'une maladie transmise des parents à l'enfant ne sera taxée, médicalement, de maladie héréditaire que si elle préexiste chez les parents à l'acte de la fécondation ; — et qu'inversement une maladie transmise à l'enfant au delà du moment de la fécondation ne sera pas un acte d'hérédité, ne sera pas considérée comme maladie héréditaire.
Je précise, en reprenant les exemples précités.
lO L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Un homme goutteux de vieille date, je suppose, engendre aujourd'hui un enfant qui sera goutteux. La goutte transmise à cet enfant sera pour nous d'ordre héréditaire.
Une femme enceinte de trois mois contracte au- jourd'hui la variole, puis la transmet à son enfant. Cette variole de l'enfant sera ce que a ous voudrez, par exemple une variole par infection ou contagion intra-utérine, mais elle ne sera pas, pour nous, une variole héréditaire.
Ainsi le veut du moins l'acception accordée mé- dicalement au mot hérédité.
Eh bien, ne discutons pas sur le bien ou le mal fondé d'une telle terminologie. Laissons au mot hérédité le sens que les conventions et l'usage lui ont assigné parmi nous ; et, en ce qui concerne notre sujet spécial, disons, puisqu'ainsi le veut la tradition :
1° Que, pour nous et médicalement, la syphilis héréditaire est celle qui dérive pour le fœtus d'une syphilis des ascendants antérieure à la procréa- tion ;
1° Et que, pour la même raison, ne saurait être considérée comme d'ordre héréditaire la syphilis qui peut être transmise au fœtus au delà de ce terme, c'est-à-dire postérieurement à la procréation.
De peur d'ambiguïté, spécifions mieux encore, en ajoutant ceci comme commentaire :
Soit un père syphilitique qui, aujourd'hui, je suppose, engendre un enfant; ou soit, de même.
DELIMITATION DU SUJET.
une mère syphilitique qui conçoit aujourd'hui un enfant. Ledit enfant naîtra avec la syphilis ; ou bien (car cela est indifférent en l'espèce), après être né sain en apparence, il présentera quelques semaines ou quelques mois plus tard des accidents non douteux de syphilis. Dans ce cas, la syphilis dont il sera infecté sera pour nous une syphilis d'ordre héréditaire. Pourquoi? Parce que cet en- fant aura reçu la syphilis de tel ou tel de ses ascen- dants infecté de syphilis avant l'époque de la pro- création.
Au contraire, voici une femme enceinte et saine. Au cours de sa grossesse, elle contracte la syphilis et la transmet à son enfant. La syphilis de cet en- fant ne sera pas pour nous une syphilis hércditaire. Pourquoi? Parce que la mère de cet enfant n'était pas en état de syphilis au moment même de la fécondation.
Rien de plus simple donc — et cela dans les termes comme dans les choses — que cette dis- tinction entre la syphilis héréditaire et la syphilis par contamination intra-utérine.
Cela dit, ajoutons maintenant que cette façon d'envisager l'hérédité, de la difïerencier de l'in- fection post-conceptionnelle, n'est pas seulement affaire de mots. Elle est empreinte tout au con- traire du plus sain esprit médical; elle répond à des différences cliniques que nous aurons à signa- ler et à apprécier plus tard.
12 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
A priori, en effet, le l)on sens préjuge que très différentes, à divers titres, doivent être deux ma- ladies dont l'une naît avec le germe^ fait pour ainsi dire partie du germe qu'elle infecte dès le premier instant de sa formation, et dont l'autre se borne à sévir sur un fœtus déjà plus ou moins formé, déjà plus ou moins avancé dans son développement.
Puis, a posteriori, l'observation confn^me cette induction, en montrant que la véritable syphilis héréditaire est infiniment plus grave pour le fœtus, infiniment plus meurtrière pour lui (sans parler de différences d'un autre genre) que la syphilis dont il vient à être affecté à diverses périodes de sa vie intra-utérine.
Mais n'anticipons pas sur ce qui doit suivre.
De ce qui précède il résulte, en somme, qu'il n'est d'autre syphilis héréditaire, au sens médical du mot, que la syphilis reçue par l'enfant de pa- rents en état de syphilis au moment même de la procréation.
Par conséquent, nous voici en droit d'élaguer de notre sujet toute une série de cas qui lui sont étran- gers, à savoir tous ceux où l'enfant apporte en naissant une syphilis cju'il a reçue de sa mère alors que sa mère a reçu elle-même la syphilis au cours de sa grossesse. De tels cas, en effet, ne nous con- cernent pas, ne rentrent pas dans notre cadre. Nous n'aurons pas à en parler, si ce n'est peut-être acci- dentellement et à titre de parallèle, de comparaison.
APEUru GÉNÉRAL DU SUJET. l3
III
Tout d'abord, l'obligation m'incombe-t-elle, au seuil de cet exposé, de faire la preuve du sujet qui va nous occuper, c'est-à-dire de démontrer par une série de faits cliniques l'authenticité de cette hérédité syphilitique ?
Je ne le crois pas. Car il est des démonstrations vraiment superflues, il est des vérités courantes qu'on ne discute plus, et l'hérédité syphilitique est certes de ce nombre.
Je sais bien que cette hérédité a été niée. Je sais bien qu'on a tenté de la récuser, en cherchant à l'expliquer de diverses façons, soit par une infec- tion de l'enfant « au passage w, lors de l'accouche- ment, soit par la « pénétration du sang maternel dans la veine ombilicale de l'enfant, au moment du décollement du placenta » ; hypothèses, pour le dire incidemment, aussi inacceptables, aussi dérai- sonnables que possible, puisque les lésions de l'hé- rédité syphilitique préexistent souvent à la naissance et se rencontrent à l'état accompli chez le fœtus. Mais ces paradoxes, ces révoltes contre la suprême évidence d'un fait clinique avéré par l'observation journalière, ne sauraient nous arrêter ni miériter les honneurs d'une réfutation en règle.
Aussi bien ne m'attarderai-je pas à établir devant vous l'authenticité de l'hérédité syphilitique par un
l4 l'hérédité SYPHFLITIQUE.
long défilé de pièces, de témoignages, d'observa- tions particulières dont bon nombre d'ailleurs trou- veront place dans les divers chapitres de l'exposé qui va suivre.
Je me bornerai tout simplement à vous dire : L'hérédité syphilitique est actuellement au nom- bre des vérités acquises, agréées de tous, supérieures à toute contestation, à toute controverse ; acceptez- la donc comme telle.
Et ce sera, je crois, faire bien meilleur emploi de votre temps de substituer à une démonstra- tion inutile une entrée en matière d'un tout autre genre.
Aussi, comme préface, comme introduction à notre sujet, vais-je essayer de vous donner une idée générale de ce que réalise l'hérédité syphili- tique. Certes^ c'est là un point que nous aurons plus tard à reprendre en détail et qui même devra nous occuper longtemps, eu égard à son impor- tance, à la multiplicité et à la diversité des acci- dents morbides qui peuvent dériver de l'infection héréditaire. Mais il ne me semble pas moins qu'un exposé sommaire de ce que produit ou peut pro- duire l'hérédité syphilitique a sa place naturelle- ment indiquée au début d'une étude sur la matière, ne serait-ce qu'en vue de vous initier à l'ensemble du sujet qui va nous occuper, de vous en décou- vrir les grandes lignes, de vous en signaler les aperçus principaux.
APERÇU GENERAL DU SUJET. ID
Cofnment donc se traduit l'influence héréditaire de la syphilis ?
Par des manifestations essentiellement multiples et variées, infiniment plus multiples et plus variées qu'on ne le croit généralement et que ne l'admet surtout l'école anatomo-patliologique.
Mais enfin, si nombreuses et si diverses que soient ces manifestations, il n'est pas impossible, pour la clarté d'une exposition dogmatique, de les ranger sous un certain nombre de chefs. C'est ce que j'ai tenté de faire. D'après moi, donc, ces manifestations pourraient être différenciées de la façon que je vais dire et catégorisées en cinq groupes :
1° Accidents de syphilis proprement dits ;
2° Cachexie fœtale, aboutissant d'une façon ou d'une autre à ce que j'appelle l'inaptitude à la vie ;
3° Troubles dystrophiques, généraux ou partiels ;
4" Malformations congéniales ;
5" Prédispositions morbides.
Quelques commentaires sur chacun de ces points.
I. — La résultante la plus naturelle de l'hérédité syphilitique, c'est la production, sur l'héritier de parents syphilitiques, à' accidents de syphilis. L'en- fant issvi d'ascendants syphilitiques apporte avec lui la syphilis^ laquelle se traduit sur lui par des manifestations d'ordre syphilitique.
Rien que de très simple à cela ; rien que d'abso- lument connu, d'incontestable et d'incontesté.
Ajoutons simplement qu'au point de vue chrono-
L HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE.
logique l'entrée en scène de la syphilis héréditaire sur l'enfant est variahle comme échéance. A cet éoard trois ordres de cas peuvent se produire : 1° Tantôt l'infection syphilitique se traduit avant la naissance, in utero. C'est ainsi que des enfants viennent au monde avec des accidents syphiliti- ques en pleine évolution. De même on a rencontré des lésions indéniables de syphilis sur des fœtus expulsés avant le terme normal de l'accouchement. Ce premier ordre de cas constitue ce qu'on a appelé la sjphilis fœtale.
2° Tantôt, et bien plus habituellement, la syphilis ne se manifeste que quelques semaines ou quelques mois après la naissance.
3° Tantôt enfin, mais d'une façon plus rare, il peut se faire que, latente au moment de la nais- sance, latente encore pendant les premières années de la vie, la syphilis n'entre en évolution apparente qu'à échéance plus ou moins reculée, par exemple à l'âge de 3 ans, de 5 ans, de lo ans, de i5 ans, de 20 ans, voire plus tard encore.
C'est là l'ordre des syphilis héréditaires auxquelles on a donné le nom de syphilis héréditaires tar- dives'^,
II. — Mais, contrairement à une opinion par malheur trop accréditée, l'hérédité syphilitique ne
I. Dans une publication antérieure, à laquelle je renvoie le lec- teur, j'ai étudié d'une façon spéciale cette hérédité tardive, à longue portée, — V. Syphilis héréditaire tardive^ Paris, G. Masson, 1886.
Al>ERÇU GENERAL DU SUJET. ij
se traduit pas exclusivement par des manifestations d'ordre syphilitique. Elle se traduit encore, et tout aussi souvent, plus souvent même, dirai-je, par quantité de phénom^ènes, qui, pour n'avoir plus, comme lésions et comme symptômes, l'apparence, l'allure, le cachet syphilitique, n'en sont pas moins des conséquences indéniables de la syphilis.
On croit trop que la syphilis, maladie spécifique, se restreint à des manifestations et à des lésions d'ordre spécifique. Erreur profonde, erreur d'anatomo- pathologistes exclusifs et à courte vue, erreur à laquelle l'observation inflige un démenti journalier. Non, certes, la syphilis « ne fait pas que de la syphi- lis », comme on l'a dit à tort. Elle fait autre chose. Elle ne réagit pas seulement sur ses victimes en tant que maladie spécifique et de par son poison propre, sa toxine propre ; elle réagit aussi sur elles en tant que maladie générale, et cela de par la perturba- tion profonde qu'elle importe dans l'organisme, de par la crase humorale dont elle l'affecte, de par le tempérament qu'elle modifie, la santé qu'elle al- tère, etc. Et ces influences d'un autre ordre, d'un ordre non spécifique, se traduisent souvent par telles ou telles manifestations morbides qui, pour être issues de la syphilis comme origine^ n'ont ce- pendant plus rien de syphilitique comme nature. Pour ma part, une des convictions qu'a le plus solidement implantées dans mon esprit l'étude as- sidue de la syphilis, c'est que cette grande maladie n'est pas seulement, exclusivement, une affection à
FouRNiER. — V Hérédité syphilitique. 9,
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
symptômes et à lésions syphilitiques. Non, la sy- philis n'est pas cela seulement. Je me la représente comme une individualité pathologique plus com- plexe. Je me la représente non seulement comme une intoxication spécifique, mais encore comme une maladie générale vulgaire, laquelle, à ce titre, peut l'aire tout ce que fait une maladie de ce genre. A ce titre, donc, c'est une maladie qui, par la réaction qu'elle exerce sur l'organisme, est suscep- tible d'éveiller, à côté de ses troubles propres, des troubles d'un autre ordre, par exemple de s'en prendre à ce qu'on appelle vulgairement « la santé M, d'amoindrir la résistance vitale, de re- tentir sur le développement, de créer des dé- chéances organiques et des prédispositions mor- bides, de constituer en un mot toute une catégorie d'accidents qui ne sont plus de la syphilis, mais qui en sont des dérivés indirects et auxquels pour ce motif j'ai proposé d'appliquer le nom de para- syp h ilitiq ues.
Les accidents de ce genre n'ont plus rien, à coup sûr, de syphilitique comme essence, comme nature; et l'anatomo-pathologiste pourra bien les récuser, sur la table d'amphithéâtre, en tant que lésions ou manifestations d'ordre syphilitique. Mais n'importe ; ils n'en sont pas moins syphilitiques cUorigine^ et cela parce qu'ils sont nés de la syphilis, issus de la syphilis, parce cju'ils se sont produits à son propos, de son fait, sous son influence, parce qu'en défini- tive, sans elle, ils n'auraient pas vu le jour. Et con-
APERÇU GENEUAL DU SUJET. ig
séquemment, de par leur filiation, le médecin ne saurait les distraire du dossier pathologique auquel ils appartiennent, c'est-à-dire les séparer de la sy- philis qui en reste étiologiquement responsable.
Eh bien, c'est ainsi, c'est à ce titre qu'on voit fréquemment, très fréquemment, l'hérédité syphi- litique se traduire par tels ou tels des phénomènes suivants :
I. — Cachexie fœtale^ ou incapacité vitale du fœtus, véritable inaptitude à la vie du produit de conception, véritable déchéance originelle, se ma- nifestant de diverses façons, à savoir :
Soit par la mort du fœtus in utero (d'où ces avortements, ces accouchements avant terme, si fréquents dans la syphilis héréditaire qu'ils en constituent un des modes d'expression les plus habituels) ;
Soit par la naissance d'enfants prodigieusement chétifs et misérables, véritables avortons que la mort attend à bref délai ;
Soit, enfin, par la naissance d'enfants en appa- rence plus résistants, mais en réalité si chétifs et vitalement appauvris que, pour la plupart, ils sont emportés par la moindre maladie incidente, que certains même meurent inopinément, sans cause, sans raison, meurent « de rien », suivant le termie ici consacré.
II. — Troubles dystrophiques, généraux ou partiels^ s'accusant par de curieux retards et de
20 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
non moins étonnants arrêts de développement, ii savoir :
Lenteur de croissance générale; — lenteur dans l'évolution des dents; — retard dans les fonctions de locomotion; — retard dans l'avènement de la puberté et de la virilité, dans le développement des seins, dans l'apparition des règles, de la barbe et des poils génitaux, etc.
Chacun sait, en effet, que quantité d'enfants hérédo-syphilitiques sont particulièrement remar- quables à ces divers points de vue : ils grandissent lentement et péniblement; — ils font leurs dents en retard; — ils ne commencent à marcher, à parler que tardivement, etc., etc.; comme si (ce qui n'est que trop vrai en l'espèce) le développement de tous leurs systèmes était entravé par un vice organique, par une insuffisance native de la nutrition.
Chacun sait de même aujourd'hui que, non pas constamment, mais fréquemment, les syphilitiques héréditaires demeurent, à l'âge adulte, de petits hommes ou de petites femmes, des êtres grêles de formes, réduits de toutes proportions, ratatinés, rabougris, atrophiés. Si bien qu'à i8 ou 20 ans, ils semblent encore des enfants et « trompent sur leur âge «, comme on dit vulgairement. En un mot, ce qu'on appelle V infantilisme est un des traits les plus caractéristiques de la syphilis héréditaire*.
I. J'iii étudié en détail ces divers points dans une publication récente. — V. De rin/luence djstroyhiqne de riiérédo-syphilis. Méde- cine moderne, 1890.
• APERÇU GENEnAL DU SUJET. 21
C'est de même encore dans la syphilis héréditaire que l'on observe d'une façon assez commune de curieuses dystrophies partielles portant sur cer- tains organes, comme sur les testicules, qui se pré- sentent petits, très petits, voire rudimentaires ; — sur les seins qui ne se développent pas ; — sur les ovaires, qui peuvent ne pas contenir de vésicules de De Graaf ; — sur les os, qui restent pauvres en éléments nobles (phosphate de chaux, carbonate de chaux, osséine), et tout au contraire se surchar- gent de substances indifférentes*; — sur le cerveau, dont l'évolution se trouve matériellement enrayée, etc., etc. Ainsi, en ce qui concerne ce dernier or- gane, c'est un fait aujourd'hui démontré (même par l'anatomie pathologique) que l'influence héréditaire de la syphilis est susceptible de créer des enfants à développement intellectuel insuffisant, des enfants « arriéres », comme on les appelle poliment, des « simples d'esprit », des imbéciles; et il n'est même pas rare de la voir se traduire par une dé- chéance encore plus accentuée des facultés intel- lectuelles, déchéance confinant et aboutissant à l'idiotie.
III. — Malformations congéniales. — Pour cer- tains observateurs, pour M. le professeur Lanne- longue, par exemple, et pour moi, l'hérédité
I. Voir à ce sujet, les intéressants résultats auxquels a abouti mon savant ami le D"^ A. Robin, d'après l'analyse chimique d'os provenant d'enfants hérédo-syphilitiques. [Influence dystrophique de Vliérédo- syphUis^ par A. Fournier, mém. cité, p. i8).
22 L HEREDITE SYPHILETIQUE. ■
syphilitique peut servir d'origine (et cela par un mécanisme que nous aurons à discuter plus tard) à diverses malformations congéniales, telles que : malformations diverses des membres; — piedbot; — malformations des doigts; — spina bifida; — division de la voûte palatine ; — bec-de-lièvre ; — asymétrie crânienne ; — microcéplialie ; — hydro- céphalie; etc., etc. A coup sûr, toutes ces consé- quences possibles de l'hérédo-syphilis ne sauraient encore être données comme formelles et irrécu- sables; mais elles sont, je crois pouvoir le dire, en voie de démonstration.
IV. — Prédispositions morbides. — Ce qui est moins douteux, ce qui ressort même, dirai-je, en toute évidence de l'observation clinique, c'est que l'hérédité syphilitique, en raison sans doute de l'état d'appauvrissement relatif qu'elle inflige à l'organisme^ constitue une prédisposition puissante à diverses maladies.
Il est incontestable, par exemple, que les enfants hérédo-syphilitiques sont essentiellement sujets aux affections du système nerveux. Un très grand nombre meurent de convulsions ou de ménin- gite*.
De même, si l'hérédité syphilitique ne fait pas le rachitisme, comme le voulait le regretté Parrot, il est certain qu'elle y prédispose d'une façon puis- sante (sans doute encore par dyscrasie native) et
I. V, A. Fournier, Syphilis et mariage, 2' édit., p. 102.
APERÇU GÉNÉHAL DU SUJET. a3
qu'elle en constitue un des principaux affluents*. De même encore on a remarqué de vieille date la fréquence des affections scrofulo-taberculeuses chez les enfants issus de souche syphilitique, et l'on a maintes fois discuté sur la transformation possible de la syphilis en scrofule. Cette transfor- mation, aujourd'hui, ne saurait être un instant soutenue, surtout depuis la découverte du bacille de Roch. Mais il n'en est pas moins certain que le terrain syphilitique est éminemment propice à la culture de ce bacille^ ; car, de par les statistiques, de par l'observation contemporaine qui n'a fait que confirmer sur ce point les résultats de nos prédé- cesseurs, il est indénial)le que les hérédo-syphili- tiques payent un large tribut aux diverses manifesta- tions de la scrofulo-tuberculose, notamment aux affections osseuses (mal de Pott, coxalgie, etc.), voire au lupus.
Sans compter, enfin^ que les plus privilégiés, les plus épargnés, parmi les hérédo-syphilitiques, sont fréquemment des sujets remarquables par une constitution nativement appauvrie, délicate, chétive, par une teinte grisâtre et terreuse de la peau qui souvent les signale à l'attention des médecins, par une tendance marquée et bien connue au lympha- tisme et aux affections d'ordre lymphatique, etc.
1. V. A. Fournier, Sypltilis /térJditaire tardive, où se trouve lon- guement discutée celte question des rapports du rachitisme avec l'iiérédité syphilitique, p. 5o et suivantes.
2. « La vérole, a dit le regrettable Guéneau de Mussy, est un fumier oh végètent de préférence toutes les pourritures. »
24 l'hérédité syphilitique.
Yoilà, messieurs, d'une façon générale et à coup sûr très abrégée, ce que produit ou peut produire la néfaste influence héréditaire que nous nous préparons à étudier.
Jugez par ce peu de mots, par ce simple aperçu du sujet, quel intérêt se rattache à tous les problèmes que soulève l'hérédité spécifique, et notamment aux questions de savoir de qui procède cette influence héréditaire ; — quand, comment, dans quelles conditions elle s'exerce; — s'il est pos- sible et comment il est possible d'en conjurer les effets, etc.'; — toutes questions que dès l'instant nous allons aborder.
IV
PROVENANCE DE l'hÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE.
Le premier problème qui s'impose à notre examen est relatif à ce que j'appellerai abréviati- vement les origines ou la provenance de V hérédité syphilitique.
De qui dérive l'hérédité syphilitique? Est-ce du père? Est-ce de la mère? Est-ce de l'influence com- binée des deux géniteurs?
En d'autres termes, est-il nécessaire que les deux parents soient syphilitiques, pour que la syphilis soit transmissible à leur enfant? — Ou bien suffit- il, pour que cette transmission s'exerce, qu'un seul
HEBEDITE MIXTE. 20
des géniteurs soit entaché de syphilis? — Et, dans ce dernier cas, est-il indifférent que ce géniteur soit le père ou la mère?
Les opinions les plus contradictoires — il est à peine besoin de vous en prévenir — ont été émises sur plusieurs de ces diverses questions, ainsi d'ailleurs que sur tant d'autres qui surgiront au cours de cet exposé. C'est qu'en effet l'hérédité syphilitique constitue — passez-moi le mot — une véritable pomme de discorde jetée dans le camp des observateurs. Il n'est peut-être pas de sujet qui ait donné lieu à un aussi grand nombre de dissenti- ments et de controverses.
Donc, ici plus qu'ailleurs, la méthode et la circonspection sont de rigueur absolue. Inspirons- nous de cet esprit en procédant, je n'oserais dire du connu à l'inconnu — ce qui serait excessif — , mais du certain, de l'acquis, de l'incontestable à ce qui reste encore matière à litige et à discussion.
Premier point : L'hérédité syphilitique peut- elle s'exercer alors que les deux géniteurs sont en état de syphilis ?
Sur ce premier point, tout le monde est d'accord, chose rare en la matière.
Oui, d'un assentiment unanime, certainement oui, l'hérédité syphilitique peut s'exercer alors que les deux parents sont en état de syphilis.
A preuve non pas des centaines, mais des milliers d'observations qu'on trouverait facilement dans la
0,6 l'hérédité syphilitique.
science, toutes concourant à démontrer : i" que l'enfant issu d'un père syphilitique et d'une mère syphilitique peut naître syphilitique ; — et 2" qiie l'hérédité syphilitique peut s'exercer dans cette condition particulière suivant les divers modes dont nous venons de la reconnaître susceptible d'une façon générale.
Exemples :
Un enfant de quelques mois nous est amené à l'hôpital pour des accidents multiples d'ordre incon- testablement syphilitique : syphilides profuses, ré- pandues sur tout le corps, et notamment recouvrant comme d'un masque presque tout le visage ; — syphi- lides muqueuses, buccales et péri-anales ; — lésions osseuses considérai )les, intéressant les trois os de l'un des membres supérieurs et déterminant cette impotence si curieuse du membre, connue depuis Parrot sous le nom de pseudo-paralysie des enfants syphilitiques.
Nous ouvrons une enquête sur les antécédents héréditaires et nous apprenons :
1° Que la mère de cet enfant est syphilitique depuis deux ans ; — cette femme présente même en- core divers accidents manifestement spécifiques, entre autres des syphilides périlabiales et des plaques muqueuses de la bouche ;
2° Que le père — de qui cette femme tient la contagion — est syphilitique depuis plusieurs an- nées et qu'il est, lui aussi, afïecté actuellement d'ac- cidents syphilitiques.
HEREDITE MIXTE. l'J
Que voulez-vous de plus prolDant ?
Autre exemple. — Un jeune homme contracte la syphilis en 1869, et se marie en 1871, après ne s'être que négligemment traité. Sa femme est contagionnée par lui dès les premiers mois de son mariage. Devenue enceinte presque aussitôt, elle accouche d'un enfant mort. - — Un an après, une seconde grossesse amène un enfant vivant qui, dès les premières semaines, est criblé d'accidents syphilitiques et qui, plus tard, vers l'âge de deux ans, est affecté d'iritis spécifique, puis de lésions articulaires et osseuses, lesquelles ne guérissent que par le traitement spécifique. (Soit dit inci- demment, cet enfant — aujourd'hui jeune homme de dix-sept ans — présente le plus beau type que j'aie jamais vu de dents d'Hutcliinson. Ses deux in- cisives médianes supérieures offrent l'échancrure semi-lunaire dans son type le plus accentué.)
Et de même pour tant et tant d'autres cas identi- ques que je pourrais citer, et qui, je le répète, sura- bondent dans la science. Il n'est pas de médecin qui n'aurait à en produire de nombreux exemples.
Complétons cependant la démonstration.
Cette influence combinée du père et de la mère infectés de syphilis, cette influence du couple syphi- litique, passez-moi le mot, sur le produit de con- ception devient encore bien autrement manifeste alors qu'elle se prolonge, qu'elle se continue, c'est- à-dire alors qu'elle se poursuit sur toute une série
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
de grossesses. Or, un tel fait est loin d'être rare. Très nombreuses, au contraire, sont les familles qui ont subi, du fait de la syphilis des deux parents, des désastres lamentables, c'est-à-dire qui ont été décimées, voire anéanties dans leur postérité.
De cela j'aurai à vous citer de nombreux exem- ples alors que je vous parlerai du pronostic de l'hé- rédité syphilitique, et je m'engage à ne pas rester alors au-dessous de ce qu'a priori vous pourriez imaginer de plus tragique. Pour l'instant, et à titre seulement de spécimen, le cas suivant pourra nous suffire.
Un jeune homme contracte la syphilis, s'en traite mal et se marie. Sa femme est bientôt contagionnée. Sept grossesses se produisent en six ans, pour abou- tir aux résultats que voici :
Les six premières se terminent par avortement ; — la septième amène enfin un enfant vivant, qui bientôt est criblé d'accidents syphilitiques, tombe dans le marasme, et succombe à trois mois et demi.
Ce n'est pas tout. Il est encore une condition toute particulière merveilleusement faite en vérité pour montrer par opposition, par contraste, l'in- fluence vraiment néfaste du couple syphiUticpie sur l'hérédité.
Cette condition est celle où la syphilis ne pénètre dans une famille qu'après l'époque où les deux conjoints ont déjà fait leurs preuves — passez- moi le mot — en tant qu'aptitudes procréatrices.
HEREDITE MIXTE. 29
Que si d'autres grossesses surviennent alors^ après l'infection des deux époux, on se trouve avoir un terme de comparaison absolument parfait pour juger de l'influence exercée par la syphilis. Eh bien, ce critérium se présente quelquefois en pra- tique. Et alors, qu'observe-t-on ? Ceci :
Avant la syphilis^ grossesses arrivant à terme, se terminant heureusement par la naissance d'en- fants vivants et sains ;
Après la syphilis^ avortements, accouchements prématurés, naissance d'enfants morts ou d'enfants syphilitiques.
Exemple :
Un homme, exempt de syphilis, épouse une jeune fille, dont il a deux enfants vivants et sains. Il con- tracte alors la syphilis et la communique à sa femme. Surviennent au delà trois grossesses qui se termi- nent :
Les deux premières par avortement ;
La troisième par la naissance d'un enfant syphi- litique.
Tel est également le cas suivant :
Un jeune ménage, indemne de syphilis, com- mence par avoir trois superbes enfants, bien venus à terme, dont deux sont encore vivants et dont le troisième paraît n'avoir succombé qu'à une maladie incidente de forme aiguë (probablement à une pneumonie).
Alors le mari prend la syphilis et la transmet à sa femme.
3o l'hérédité syphilitique.
Depuis cette époque, sept grossesses sont surve- nues. Or, quelle a été la terminaison de ces sept grossesses, consécutives à l'infection des deux époux? La chose est curieuse non moins que lu- gubre. Jugez-en :
Première grossesse (après la syphilis). — Avortement au cin- quième mois.
Deuxième grossesse. — Accouchement prématuré à sept mois et demi. — L'enfant, très chétif, rabougri, « sorte de petit vieux », meurt à i5 jours.
Troisième grossesse. — Accouchement presque à terme d'un enfant mort-né.
Quatrième grossesse. — Accouchement prématuré à sept mois. — Enfant mort-né, « ayant le corps couvert de taches ».
Cinquième grossesse. — Accouchement prématuré d'un enfant mort.
Sixième grossesse. — Avortement à trois mois et demi.
Septième grossesse. — Avortement à six semaines.
Résumé : lo grossesses, dont 3 antérieures et "7 postérieures à la syphilis des deux époux.
Les trois premières se terminent à terme et don- nent des enfants bien portants ;
Les sept autres aboutissent à quatre accouche- ments prématurés et trois avortements.
Quel fait plus instructif? Quel témoignage plus probant à l'appui de la nocivité de l'influence hérédo-syphilitique provenant des deux époux ?
Il serait inutile, ce me semble, d'insister davan- tage. Concluons donc en disant — et cela en toute sûreté, au-dessus de toute contestation possible — que l'hérédité syphilitique peut s'exercer (notez que
HÉRÉDITÉ MATERNELLE. 3l
je dis toujours peut s'exercer, et rien de plus, en raison de réserves dont il sera question plus tard) alors que les deux géniteurs sont en état de sy- philis^
V
HÉRÉDITÉ MATERNELLE.
V influence hérédo-syphilitique peut-elle s'exer- cer alors quhm seul des deux géniteurs se trouve en état de syphilis ?
Ici, une division de la question s'impose tout naturellement, car l'influence propre de chacun des deux géniteurs demande en toute évidence à être examinée séparément.
Deux points se présentent donc à notre étude, à savoir :
L'hérédité syphilitique s'exerce-t-elle de la mère à l'enfant?
L'hérédité syphilitique s'exerce-t-elle du père à l'enfant?
Procédant toujours dans le même esprit, c'est-à- dire allant de ce qui est accepté, admis, à ce qui est controversé et réellement controversable, abordons le premier de ces deux points, celui qui est relatif à I'hérédité maternelle.
L'hérédité syphilitique peut-elle s'exercer alors que la mère seule est en état de syphilis?
32 l'hérédité syphilitique.
Sur ce point encore, comme sur le précédent, l'accord est on peut dire unanime. Tout le monde admet qu'une mère peut transmettre héréditaire- ment la syphilis à son enfant ; tout le monde trouve ce fait d'hérédité absolument naturel et absolument justifié par l'observation courante.
Et pourquoi cela ? Très certainement en raison de l'impression que nous laisse l'observation, pres- que journalière ici, de ces cas où une mère et son enfant se présentent à nous simultanément affectés de syphilis. Nous sommes habitués avoir un enfant syphilitique aux bras ou au sein d'une mère syphi- litique. C'est la règle, c'est le cas courant.
Or, cette impression, ce souvenir clinique nous conduit, sans que nous y prenions garde, à la plus incorrecte déduction. Sans y réfléchir, nous nous laissons aller à établir en notre esprit une filiation directe entre la syphilis de l'enfant et la syphilis de la mère, comme s'il était nécessaire que la pre- mière dérivât de la seconde ; et cela en vertu du raisonnement suivant : voici un enfant affecté de syphilis héréditaire, et sa mère est syphilitique; conséquemment, cette syphilis, l'enfant la doit, au moins pour une part, à sa mère.
Illégitime et détestable raisonnement, s'il en fût ! Car cet enfant hérédo-syphilitique peut très bien ne pas tenir la syphilis de sa mère. A ce point que c'est peut-être lui, au contraire, qui a contaminé sa mère, comme cela s'observe dans les cas de sy- philis conceptionnelle où un enfant, procréé syphi-
HÉRÉDITÉ MATERNELLE. 33
litiqiie par un père syphilitique et une mère saine, infecte sa mère in utero.
Donc, il ne suffit pas, il ne saurait suffire, pour démontrer la réalité , l'authenticité de l'hérédité syphilitique maternelle, de constater la syphilis sur la mère d'un enfant hérédo- syphilitique. Cette simple constatation ne signifie rien, ne prouve rien en l'espèce. Il faut autre chose ; il faut d'autres éléments, d'autres pièces à conviction. Quoi donc? Ceci, très rigoureusement :
Deux conditions sont indispensahles en l'espèce à une démonstration rigoureuse de l'hérédité syphi- litique maternelle, à savoir : l'une, toute naturelle, qui vient immédiatement à l'esprit de tout le monde ; — l'autre, très spéciale, à laquelle personne ne pense tout d'ahord, mais qui n'en est pas moins exigihle au même titre que la précédente.
La première, c'est d'éliminer du couple géniteur le facteur d'hérédité paternel, afin que toute la res- ponsahilité de l'hérédité syphilitique incombe à la mère.
Eh bien, dira-ton au premier abord, rien de plus simple. Car il ne s'agit, en somme, que de trouver un couple géniteur où le mari soit sain et la femme syphilitique.
Oui, répondrai-je, il ne s'agit que de cela. Et voilà, précisément, la difficulté. Et le pourquoi de cette difficulté, je vais a ous le faire toucher du doigt.
Pour que des observations du genre de celles qiie nous cherchons aient quelque valeur, il faut
FoUKNlEH. — L'Hérédité SYi)liiUtiqin-. 3
34 l'hérédité syphilitique.
de toute nécessité qu'elles soient prises clans un certain milieu, dans un milieu régulier, correct, familial^ sous peine d'être entachées d'un vice rédhibitoire. Ce n'est pas dans le monde des vi- veurs et des filles qu'elles doivent être recueillies, mais bien dans le monde honnête, dans les fa- milles, dans les ménages. Or, s'il est absolument commun, dans ce dernier inonde, qu'un homme syphilitique épouse une femme saine, il y est abso- lument exceptionnel qu'une femme syphilitique se marie à un homme sain. Ce ne sont pas les femmes, ce sont les hommes qui apportent la syphilis sous le toit conjugal ; tel est, du moins, le fait habituel, si habituel que l'inverse est une exception rarissime.
Aussi bien les cas de cet ordre (couple à mari sain et femme syphilitique), quoiqu'ils puissent se ren- contrer — et nous en citerons tout à l'heure — , ne se présentent-ils en pratique que d'une façon tout à fait exceptionnelle.
Puis, continuerai-je, il est un second point avec lequel on ne compte guère en général et qui échappe au premier moment. On semble croire que, pour démontrer l'hérédité syphilitique maternelle, il suffit de trouver un couple où le mari soit sain et la fem^me syphilitique. Or, cela ne suffit pas. Il manque quelque chose à ce programme ; il manque une condition sans laquelle les résultats du fait observé seront tenus en suspicion, révoqués en doute, at- taqués.
Cette condition, c'est que la femme du couple
HEREDITE D IMPREGNATION.
en question nait pas été au préalable fécondée par un homme syphilitique ; parce que, si elle a été fécondée par un premier mari syphilitique, on ne manquera pas d'opposer au résultat constaté l'ob- jection dite de I'imprégkatioiv.
De l'imprégnation? — Oui, c'est-à-dire de cette influence mystérieuse, mais authentique (au moins pour nombre d'observateurs), d'après laquelle une première fécondation peut retentir sur les produits de fécondations ultérieures dérivant d'autres géni- teurs. Je m'explique.
Il paraît avéré (et les éleveurs sont nos maîtres sur ce point) qu'une chienne ou une jument fécon- dée par un mâle d'une certaine espèce, d'une es- pèce A, je suppose, pourra donner des produits qui présenteront encore les caractères de l'espèce A, alors qu'elle sera ultérieurement fécondée par des mâles d'une espèce différente.
Exemple :
Une jument est fécondée par un zèbre ; elle donne un poulain présentant les attributs du zèbre, c'est-à-dire une série de bandes noires sur les épaules et sur les jambes. — Ultérieurement, elle est saillie par trois chevaux. Elle met bas trois fois, et trois fois ses poulains portent les signes distinc- tifs du zèbre.
Des faits de cet ordre, assure-t-on, auraient été observés dans l'espèce humaine. Ainsi, on raconte qu'une feraime blanche, après avoir été fécondée par un premier mari nègre, devint veuve, se remaria
36 l'hérédité syphilitique.
à un blanc et eut de celui-ci des enfants qui pré- sentaient sur certaines parties de la peau la pigmen- tation caractéristique de la race nègre.
Eh bien, si l'hérédité par imprégnation (qu'on appelle encore quelquefois hérédité par influence ou hérédité ovarienne) est susceptible de transmettre ainsi aux produits de fécondation ultérieure les caractères physiologiques, voire les caractères de race relevant du premier mâle fécondant, on ne voit pas pourquoi elle ne serait pas également ca- pable de transmettre les dispositions morbides, les diathèses, les maladies de ce premier géniteur. En sorte qu'une femme, fécondée par un premier mari syphilitique, pourrait transmettre la syphilis aux enfants d'un second lit, par le processus de l'imprégnation, de l'hérédité ovarienne. Cette sy- philis, en ce cas, ne serait pas une s} philis d'héré- dité maternelle, mais bien une syphilis provenant du premier père et conférée aux enfants du second père par hérédité ovarienne.
Des faits de ce genre se sont-ils jamais produits ? On en a cité en tout cas. A vrai dire, ils ne sont guère probants ; je les juge même très défectueux. Mais là n'est pas la question. Il sufïit pour nous, qui ne cherchons actuellement qti'à étabhr l'au- thenticité de l'hérédité syphilitique maternelle sur une base absolument solide, sur une démonstra- tion irréfragable, il sufïit pour nous, dis-je, que l'objection tirée de ce mode spécial d'hérédité ait été produite pour que nous ayons à en tenir
HÉRÉDITÉ MATERNELLE. 37
compte, pour que nous mettions les conclusions de nos recherches à l'abri de cette fin de non- recevoir.
Voilà donc bien déterminées les deux conditions auxquelles nous devons rigoureusement nous as- treindre pour établir la démonstration que nous avons en vue. C'est, à savoir : i" Produire un couple géniteur où le mari soit sain et la femme syphili- tique ; — 2° produire un tel couple où la femme n'ait pas été fécondée au préalable par un premier mari syphilitique.
Eh bien , avons-nous des observations qui satisfassent de tous points à ce programme? Oui,
Et ces observations, nous les trouvons dans les deux groupes de femmes que voici :
1° Parmi les femmes contam.inées par un premier mari, sans avoir été fécondées par lui;
2° Parmi les femmes mariées ou les nourrices accidentellement contaminées par un nourrisson syphilitique.
Mais ne croyez pas, ainsi que je vous le faisais remarquer tout à l'heure, que nous soyons bien riches en fait d'observations de cet ordre. De telles observations sont absolument rares, je vous le ré- pète encore. De plus, celles qui existent sont dis- séminées çà et là, dans les recueils périodiques, les monographies, les thèses sur la syphilis, et il faut les chercher patiemiment pour les découvrir. Quant à moi, je suis parvenu (et j'en suis presque lier) à
38 l'hérédité syphilitique.
en réunir i3, empruntées à mes notes de ville ^ Or, quels ont été les résultats fournis par ces i3 ob- servations? Les voici, sommairement :
Treize femmes syphilitiques, unies à des maris dont j'ai constaté de visu l'intégrité et que je crois pouvoir garantir sains, ont eu 28 grossesses. Et ces 28 grossesses ont produit :
3 fois des enfants vivants et sains ^.
4 fois des enfants manifestement syphilitiques, mais qni,
traités, ont survécu.
3 fois des enfants syphilitiques qui se sont éteints très rapidement.
9 fois des enfants qui ont succombé rapidement, sans que des symptômes dûment syphilitiques aient été con- statés sur eux.
9 fois, enfin, la grossesse s'est terminée soit par accouche- ment prématuré, soit par avortement.
Total 28
Quelques-unes de ces observations gagneront à être citées individuellement.
Une jeune femme reçoit la syphilis de son mari.
— Devenue veuve peu de temps après, elle se re- marie avec un homme sain, devient enceinte pour la première fois et accouche d'un enfant criblé de syphilides qui ne tarde pas à succomber.
Une jeune femme mariée contracte accidentelle- ment la syphilis d'une source demeurée inconnue.
— Son mari reste sain. — Un an plus tard, pre-
1. Je })arle, bien entendu, de treize observations complètes, sem- blant bien à l'abri de toute cause d'erreur.
2. Saiiis^ du moins dans leurs deux ou trois premiers mois, échéance au delà de laquelle je les ai perdus de vue.
HÉRÉDITÉ MATERNELLE. 3^
mière grossesse, qui se termine par une fausse couche au sixième mois. — Ultérieurement, se- conde grossesse amenant un enfant syphilitique qui meurt à neuf jours.
Une femme syphilitique, n'ayant jamais eu d'en- fants, se marie à un homme sain. Elle devient en- ceinte trois fois. Résultat de ces trois grossesses : deux fausses couches ; — et naissance à terme d'un enfant qui meurt subitement à l'âge de cinq mois.
Une jeune femme, mariée à un homme sain et récemment accouchée d'un enfant sain, est infectée au mamelon par une nourrice qui s'était chargée de lui dégorger les mamelles distendues par un excès de lait. Elle devient enceinte quatre fois au cours des cinq années suivantes, et avorte quatre fois du quatrième au septième mois. — Son mari, plu- sieurs fois examiné par moi, est toujours resté sain.
Une nourrice, mère d'un enfant sain et robuste, est infectée par un nourrisson syphilitique et af- fligée d'une syphilis grave. — Du fait de son mari, resté indemne, elle devient enceinte six fois, et ces six grossesses se terminent : trois fois par avorte- ment; — trois fois par naissance d'enfants extrê- mement débiles, qui succoml)ent l'un à douze jours, un autre à trois semaines, le dernier à deux mois. — Etc., etc.
Eh bien, ne trouvez-vous pas là, messieurs, tout ce qui atteste l'hérédité syphilitique? A savoir : Transmission de la syphilis en l'espèce; — nais
4o l'hérédité syphilitique.
sance d'enfants chétifs, succombant dès les pre- mières semaines ou les premiers mois de la vie; — accouchements prématurés ou avortements; — et, finalement, comme conséquence ultime, effroyable pol} mortalité des jeunes (21 enfants morts sur 28), polymortalité qui peut être considérée, vous le savez de reste, comme un témoignage d'hérédo- syplîilis, comme un témoignage de valeur dia- gnostique presque équivalente à celle de la lésion syphilitique la plus patente.
Aussi bien pouvons-nous dire^ d'après cela, que l'hérédité syphilitique maternelle est absolument indéniable.
Et, d'ailleurs, ce fait de l'hérédité syphilitique maternelle n'est-il pas en harmonie parfaite, d'une part, avec ce que les données théoriques tirées du caractère même de la maladie nous permettaient de préjuger, et, d'autre part, avec tous les résultats connus relativement à la transmissibilité héréditaire des maladies contagieuses? Voyez plutôt.
 priori^ pourrions-nous un seul instant accom- moder notre cerveau à cette idée qu'une maladie telle que la syphilis ne fût pas transmissible par hérédité de la mère à l'enfant? Comment une ma- ladie telle que la syphilis, qui s'en prend à tout l'organisme, qui se répand dans tous les systèmes vivants, qui imprègne et sature l'économie tout entière au point de créer par excellence ce qu'on ap[)elle une infection générale, un tempérament
HEREDITE MATERNELLE. 4!
morbide, une diathèse, comment, dis-je, une telle maladie pourrait-elle épargner l'enfant, alors que la mère en est affectée ? Comment concevoir qu'elle laissât indifférent et indemne cet enfant qui, pen- dant neuf mois, vit à l'état de greffe utérine, si je puis ainsi parler, vit de sa mère, se nourrit de la substance même de sa mère ?
D'autant qne, plus on avance dans l'étude liis- tologique du placenta, plus on découvre combien sont intimes les connexions qui existent entre ces deux êtres, la mère et l'enfant. A ce point que, d'après ce que nous savons aujourd'hui, le placenta peut être considéré schématiquement, à son origine, non plus comme un simple adossement de deux circulations indépendantes, mais, ainsi que l'a écrit mon savant collègue et ami le professeur Mathias Duval, comme une « liémorrhagie maternelle, cir- conscrite ou enkystée par des éléments fœtaux^ «. Le sang placentaire de la mère, nous disent les histologistes, « circule dans des lacunes circon- scrites directement par des cellules fœtales «. A moins de fusionnement, l'intimité peut-elle aller plus loin? Et une pareille intimité n'implique-t-elle pas, comme conséquence logique, la transmissi- bilité morbide, surtout relativement à une maladie aussi infectieuse que la syphilis? Car, si le sang de la mère baigne les éléments du fœtus, comment l'élément infectieux qui circule dans le sang ma- ie V. Sociélé de biologie, Placentas discoïdes, séance du 3 no- vembre 1888.
/J2 l'hérédité syphilitique.
ternel ne pëiiétrerait-il pas dans la substance du fœtus ?
D'autre part, les analogies morbides ne plaident- elles pas dans le même sens? Le placenta n'est plus, on le sait de reste aujourd'hui, ce qu'on le suppo- sait il y a quelques années encore. On le donnait comme un a fdtre parfait » , comme une « barrière infranchissable aux contages figurés, aux contages microbiques des maladies». Or, Yoici démontré de nos jours que tout au contraire il se laisse parfai- tement traverser par eux ?
C'est ainsi, par exemple, que les mémorables expériences de MM. Straus et CliamlDerland ont établi (conlradictoirement avec ce qu'on admettait sur la foi de Brauell et Davaine) que la bactéridie charbonneuse peut passer de la mère au fœtus par la voie placentaire; en sorte que, dans bon nombre de cas, le sang du fœtus contient des bactéridies, c'est-à-dire est virulent comme le sang de la mère '.
De même, d'après M. Netter, le pneumocoque franchirait la filière du placenta. Sur un enfant né d'une femme affectée de pneumonie et mort à cinq jours de pneumonie, cet habile observateur a trouvé des pneumocoques encapsulés dans le pou- mon, dans le sang du cœur gauche, et dans divers exsudats\
De même encore il paraît résulter en toute évidence d'une série de recherches dues à Relier,
1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XVI, p. 1290.
2. Bulletins de la Société de biologie, mars 1889.
HÉRÉDITÉ IMATERNELLE. 4^
Neuhauss, Chantemesse et Widal, Eberth, que le ba- cille de la fièvre typhoïde passe de la mère au fœtus. Eh bien, si les agents contagieux de toutes ces maladies (et de bien d'autres encore que je pourrais citer) traversent le placenta, pourquoi celui de la syphilis n'en ferait-il pas autant? On ne s'explique- rait guère, il serait peu compréhensible que, per- méable aux agents pathogènes de ces diverses affections, le filtre placentaire ne se laissât pas franchir également par celui de la syphilis.
Donc tout concourt en définitive, vous le voyez, à la démonstration que je poursuis. D'une part, a priori^ l'hérédité syphilitique maternelle se présente comme possible, comme rationnelle, comme vrai- semblable, de par toute une série d'inductions que je vous ai présentées. Et, d'autre part, a posteriori, des preuves directes lui sont fournies par la cli- nique.
En sorte que, finalement, cette conclusion s'impose :
Oui, incontestablement oui, V lié redite syphili- tique peut s'exercer de la mère à V enfant.
Ajoutons même par anticipation que cette héré- dité maternelle est l'hérédité syphilitique par excel- lence; que c'est la modalité d'hérédité syphilitique la plus active, la plus inéluctable, et aussi la plus nocive, comme nous le verrons plus tard, quant à ses résultats, c'est-à-dire quant aux dangers en- courus par l'enfant.
44 l'hérédité syphilitique.
VI
HÉRÉDITÉ PATERKELLE.
Le troisième et dernier point que nous avons à examiner relativement à la provenance de l'hérédité syphilitique est le plus controversé de tous et celui qui, vu son importance excessive (en ce qui con- cerne, par exemple, l'aptitude aumiariage d'un sujet syphilitique), doit nous arrêter le plus longuement.
Ce point n'est autre que le suivant :
U hérédité syphilitique peut-elle s exercer du père à V enfant ?
Jusqu'à une époque voisine de la nôtre l'hérédité paternelle de la syphilis était un fait accepté sans conteste d'une façon presque unanime. On ne mettait pas en doute qu'un père syphilitique ne pût, ne dût même engendrer des enfants syphilitiques. C'était là une opinion généralement admise, et la science semblait définitivement fixée sur ce point.
Or, les choses ont bien changé de face dans l'époque contemporaine. Des observations nom- breuses, des travaux importants ont surgi de divers côtés, ne tendant à rien moins qu'à restreindre singulièrement l'influence paternelle dans la trans- mission héréditaire de la syphilis*. Pour plusieurs
I. J'ai donné ailleurs (V. Syplùlis et Mariage, -i" ëdit., p. 54) la bibliographie de ces travaux. Je crois donc inutile de la repro- duire ici.
HKRÉDITK PATERNELLlî. 45
auteurs, riiérédité paternelle de la syphilis ne serait plus qu'un fait rare, presque exceptionnel. Encore n'est-ce pas tout, car on est allé plus avant dans cette voie. On est allé jusqu'à récuser radicalement l'influence paternelle dans la transmission de la maladie, et à dire : « L'influence du père est nulle, absolument nulle, pour la transmission de la syphilis au fœtus. L'enfant d'un homme syphi- litique naît sain, exempt de syphilis, et bien por- tant. »
Eh bien, ces idées nouvelles, pour contenir une part de vérité, n'en constituent pas moins une doc- trine absolument erronée et, qui pis est, une doc- trine dangereuse par excellence, car l'erreur cju'elle consacre est féconde en conséquences pratiques de la plus haute gravité.
Cette doctrine, en effet, exonère la syphilis d'une grosse part des périls héréditaires qui lui sont inhé- rents et, comme conséquence, elle ouvre le plus im- prudemment du monde les portes du mariage à toute une catégorie d'individus syphilitiques que retient seule la trop légitime appréhension d'être nuisibles à leur postérité*. C'est donc un devoir pour
I. C'est là ce qu'ont très judicieusemeut signalé MM. Paul Diday et Emile Diday, dans leur excellent article du Dictionnaire encyclopé- dque sur la syphilis congénitale :
« L'influence paternelle, a-t-on dit, est nulle à l'égard de la syphilis héréditaire; l'enfant d'un homme syphilitique naît sain et bien portant. »
Cette conclusion, si elle était adoptée, serait funeste au jjoint de vue ])ratique, car elle conduirait les parents et surtout le médecin, auquel incombe la mission de veiller à la santé de l'enfant qui va
46 L'ilÉnÉDITÉ SYPHILITIQUE.
moi d'établir devant vous que cette doctrine est en- tièrement contraire à la vérité clinique, et de ne laisser à ce sujet aucun doute en vos esprits.
Or, vous dirai-je, cette doctrine de la non-héré- dité paternelle de la syphilis est fausse, erronée, et cela à double titre :
1° Parce que les considérations sur lesquelles elle repose ne sont en rien démonstratives ;
2° Parce que, d'autre part, elles sont formelle- ment contredites par des témoignages de significa- tion opposée.
C'est là ce que je vais m'efforcer d'établir.
Voyons tout d'abord, pour procéder avec mé- thode, quels ordres de preuves ladite doctrine a cru pouvoir invoquer en sa faveur.
Au total, son bilan se réduit aux trois raisons sui- vantes :
naître, à s'endormir daus une sécurité trompeuse. Notons que ce qui empêche les hommes syphilitiques de se marier, ce n'est guère la crainte de donner du mal à leur femme, car ils savent qu'ils ne l'infecteront pas s'ils évitent de l'approcher au moment où survient quelque lésion sur les régions par où ont lieu les contacts intimes : mais ils savent aussi qu'ils sont aptes à procréer un enfant malade alors même que, au moment de la procréation, ils n'auraient plus aucune lésion apparente sur le corps, et même qu'ils n'en auraient plus eu depuis longtemps. Otez-leur cette crainte, cet épouvantail, si vous voulez, en tout cas ce frein salutaire, et les mariages de syphilitiques se multiplieront au grand préjudice des enfants, per- sistons-nous à penser, quoi qu'en disent nos adversaires, et au grand danger des mères, ainsi que des familles nourricières, pensent-ils certainement comme nous. »
HÉRÉDITÉ PATERNELLE, 47
I. — Disproportion manifeste, indéniable, entre le nombre des maris syphilitiques et celui des en- fants syphilitiques.
ce Le nombre des sujets qui se marient en état de syphilis, nous dit-on, est considérable ; tandis que, relativement, il est fort peu de ménages où les en- fants naissent avec la syphilis. En serait-il ainsi, si la syphilis était héréditaire par influence paternelle ? «
La remarque est exacte, répondrons-nous.
Oui, certes, il existe beaucoup de pères syphili- tiques contre peu d'enfants syphilitic[ues. Mais que déduire de cette constatation, au nom de la plus élémentaire logique, sinon que l'hérédité paternelle ne s'exerce pas dans tous les cas où elle pourrait s'exercer, c'est-à-dire qu'elle n'est pas fatale ?
Cette considération pourrait bien aboutir à dé- montrer ceci, que l'hérédité paternelle est plus ou moins rare, qu'elle est moins fréquente qu'on ne l'a cru jusqu'ici. Soit ! Mais elle ne contient rien de plus, elle n'a pas de signification autrement étendue ; et, notamment, elle ne démontre en rien ce qu'on pré- tend en tirer, à savoir : que l'hérédité syphilitique paternelle n'existe pas. Elle reste donc sans valeur. Passons.
IL — Le second argument, en revanche, est au- trement sérieux, parce c^u'il repose sur des faits précis d'observation.
« Maintes fois, disent nos contradicteurs, on a vu ceci : Un homme syphilitique, marié à une femme
48 l'hérédité syphilitique,
saine, engendrer des enfants sains. — Que devient, en présence de tels faits, la prétendue hérédité pa- ternelle de la syphilis ? »
Oui, certes, répondrons-nous encore, on a pu voir un tel fait, et plus d'une fois. On a même vu mieux que cela ; on a vu des enfants naître in- demnes de syphilis, hien qu'issus de pères syphili- tiques non guéris, de pères syphilitiques en pleine période secondaire, insuffisamment traités ou pres- que non traités, c'est-à-dire réalisant les conditions les mieux faites pour que l'hérédité syphilitique dût s'exercer, si elle avait à s'exercer. A ce point qu'en présence de semhlables cas, certains observateurs, tels que Cullerier par exemple, ont pu se croire autorisés à mettre en doute, voire à nier l'hérédité syphilitique paternelle.
Les faits de cet ordre, nous sommes bien loin de les récuser. Nous en citerons même de semblables; nous leur ouvrirons même dans un instant un cha- pitre spécial, pour appeler sur eux toute l'attention qu'ils méritent. Mais que prouvent-ils, en fin de compte ? Prouvent-ils, comme on le prétend, la non- existence de l'hérédité syphilitique paternelle ? Leur attribuer une telle signification est singulièrement illogique. Ce qu'ils démontrent exclusivement est ceci : qu'en certains cas, d'une manière plus ou moins fréquente, l'hérédité syphilitique paternelle ne s'exerce pas, et voilà tout. Ils n'ont et ne sau- raient avoir d'autre portée, d'autre sens. Ce sont des faits négatifs, et ils ne possèdent comme tels
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. /\g
que la valeur des faits de cette catégorie. Or, vous connaissez tous le vieil adage d'après lequel « tous les faits négatifs du monde ne sauraient prévaloir contre un seul fait positif bien observé ».
Donc, en l'espèce, conclure de ces cas négatifs à la non-existence de l'hérédité syphilitique pater- nelle, ce n'est rien moins que manquer gravement à la logique, en déduisant une conclusion de pré- misses qui ne la contiennent pas.
Conséquemment, le second argument de nos ad- versaires, bien que reposant sur un ordre de faits incontestables et incontestés, ne démontre rien, en principe, contre l'hérédité syphilitique pater- nelle et n'a pas plus de valeur que le premier.
Voyons le troisième.
m. — Celui-ci repose sur la non-inoculahilité du sperme des sujets syphilitiques.
On a raisonné de la façon suivante :
Le sperme des sujets syphilitiques, inoculé aux sujets sains, ne leur transmet pas la syphilis ; donc il ne saurait non plus transmettre la syphilis à l'ovule et par suite au produit de la conception , donc l'hérédité syphilitique paternelle n'existe pas et n'est qu'une fiction.
Le point de départ de ce raisonnement est, il est vrai, absolument fondé. La non-inoculabilité du sperme des sujets syphilitiques est, en effet, démon- trée par deux ordres de preuves, à savoir :
i" Preuves indirectes^ d'expérience courante.
FoURNiER, — VHéréditc syphilitique. /}
jq J L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Si le sperme de l'homme syphilitique était inocu- lable (inoculable, par exemple, à la façon de la sé- crétion du chancre ou de la plaque muqueuse), nous assisterions d'une façon usuelle à de lamentables spectacles qui, fort heureusement, nous sont épar- gnés. Nous verrions quantité de femmes être conta- minées par leurs maris ou leurs amants, d'ailleurs indemnes de tout accident syphilitique actuel. Nous verrions, entre autres, nombre de jeunes mariées recevoir un chancre comme cadeau de noces, dès les premières approches conjugales. Or, cela, nous ne le voyons pas, et pour cause. C'est qu'en effet il est bien certain, de par l'expérience journalière, qu'un sujet syphilitique n'est dangereux pour une femme (du moins au point de vue d'une contagion directe) qu'à la condition de présenter actuellement une lésion syphilitique de forme suppurative. On ne connaît pas, on n'a jamais enregistré de cas de contagion directe de la syphilis par le sperme.
2° Preuves directes. — Plusieurs fois, d'ailleurs, on a tenté sur des sujets sains l'inoculation du sperme de sujets syphilitiques, et, invariablement, ces inoculations sont restées stériles, c'est-à-dire n'ont pas déterminé de contamination.
C'est donc là un fait acquis, et nous sommes en mesure d'affirmer que le sperme des sujets syphili- tiques ne transmet pas la syphilis par inoculation.
Eh bien, que doit-on inférer de là ?
Peut-on dire, est-on autorisé à dire : (c Puisque le sperme des syphilitiques n'est pas contagieux par
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 5l
inoculation, il ne saurait contaminer l'ovule; et, par suite, riiéréditë syphilitique paternelle n'existe pas » ?
En aucune façon. — Et pourquoi ?
Parce qu'il n'est aucune assimilation à établir entre la faculté que le sperme pourrait avoir de conférer la syphilis par inoculation sous-cutanée et les effets qu'il peut exercer sur l'ovule. .4 l'ovule il donne la vie, par un phénomène d'ordre aussi spé- cial que mystérieux ; à l'ovule il transmet encore, en même temps C|ue la vie, des aptitudes physiolo- giques et pathologiques, des caractères d'espèce, de race, d'individu, qui se traduiront plus tard par des ressemblances physiques, morales, et même mor- bides, entre le nouvel être qui va résulter de l'im- prégnation spermatique et le mâle qui aura fourni le principe fécondant. Est-ce que ce n'est pas là, je le répète, un phénomène d'ordre absolument et ra- dicalement spécial, à nul autre comparable? Certes, ce phénomène, nous en ignorons la nature intime, mais il n'en est pas moins authentique et irrécusable. Rien d'étonnant, en conséquence, pour ce qui nous concerne, à ce que le sperme puisse transmettre la syphilis comme tout autre germe morbide, et cela sans que néanmoins il soit contagieux par ino- culation .
Fécondation et inoculation sont choses qui ne se ressemblent en rien , qui ne sauraient être mises en parallèle. Le sperme peut fort bien n'être pas apte à conférer la syphilis par inoculation, et être apte à
Sa l'hérédité syphilitique.
la conférer à l'ovule par imprégnation génératrice. Aucune corrélation, aucune parité à établir entre ces deux phénomènes.
Donc, comme conclusion, la non-inoculabilitédu sperme des sujets syphilitiques ne constitue pas une objection sérieuse contre la faculté que peut avoir ce même sperme de contaminer l'ovule et, par suite, le produit de conception.
Et voilà les trois considérations sur lesquelles on a prétendu édifier la nouvelle doctrine de la non- hérédité paternelle de la syphilis. Aucune, ainsi que nous venons de le voir, n'est ni décisive ni probante, tant s'en faut ; donc cette doctrine man- que absolument de base. On la donnait comme dé- montrée, et, au total, tout élément sérieux de dé- monstration lui fait défaut.
Mais ce n'est pas tout ; car cette doctrine, d'autre part, se trouve battue en brèche, voire formelle- ment contredite par des considérations de signifi- cation précisément opposée, comme vous allez le voir.
Je viens d'établir qu'on n'est pas fondé à récuser l'hérédité paternelle de la syphilis; je vais vous montrer actuellement qu'on est, au contraire, plei- nement autorisé à l'admettre.
Oui, l'hérédité syphilitique peut s'exercer d'un père syphilitique à son enfant (la mère étant tou- jours supposée saine, bien entendu).
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 53
Cela, quatre ordres de témoignages vont nous en fournir la preuve.
I. — D'abord, on a vu maintes fois des enfants issus d'un père syphilitique et d'une mère saine (au moins en apparence) être affectés des accidents propres à la syphilis héréditaire.
Des observations relatives à cette forme de l'héré- dité syphilitique paternelle ont été citées par une foule de médecins, notamment par MM. Ricord, Trousseau, Diday, Cazenave, Bazin, Hardy, Baeren- sprung, Hutchinson, Bassereau, Beyran, Martinez \ Sanchez, Liégeois, De Méric, Martin, Parrot, Lan- cereaux, Rassowitz, Charpentier, Pozzi, Reyfel, Cari Ruge, et tant d'autres que j'oublie'. A mon
I. Voir un travail intéressant du D"' Léon Richard [Étude sur r hérédité dans la syphilis ; de f influence du père^ Thèses de Paris, 1870).
Voir aussi : Pi quand, Influence de la sjphilis des générateurs sur la grossesse. (Tlièses de Paris, 1868.)
Bricakd (Ph.). De la transmission de la syphilis du père à l'enfant avec immunité de la mère (Thèses de Paris, 187 1).
Kassowitz. Die Vererbung der iS^yy/u'/à, Vienne, 1876.
Caki. Ruge, Ueber die Fœtus sanguinolentus (Zeits. fiir Geburtsh und Gyniikologie, Ed. I. — ■ Analyse par Porak, dans la Revue des Sciences médicales publiée par G. Hajem, t. XII, p. 2o3). — Etc.
M. le professeur Parrot m'a communiqué un fait de ce genre observé par lui dans des conditions particulières qui ne laissent aucune prise à l'erreur. « Un jeune homme se marie en puissance de syphilis. Il a deux enfants, qui présentent l'un et l'autre les symptômes les moins douteux de syphilis héréditaire. Or, leur mère, assidûment surveillée, minutieusement examinée depuis son mariage, n'a jamais présenté et ne présente encore aucun symptôme suspect. Il est hors de doute qu'elle soit restée indemne. »
M. Hutchinson est bien autrement affirmatif encore en faveur de l'hérédité paternelle. D'après lui, la plupart des syphilis hérédi-
54 l'hérédité syphilitique.
tour, je m'inscris à la suite de tous ces médecins pour dire que j'ai réuni un certain nombre d'obser- vations du même genre. Enfin, ces derniers temps, un de mes élèves, le D' Riocreux, a rassemblé dans une excellente monographie sur l'hérédité pater- nelle de la syphilis une riche collection de faits témoignant dans le même sens\ Si bien que la transmission de la syphilis en F espèce^ s'opérant du père à l'enfant, est actuellement attestée par un nombre considérable d'observations des plus au- thentiques.
Ces observations, faut-il vous en citer quelques- unes? Je n'aurai que l'embarras du choix.
Rappelez-vous d'abord un fait que vous avez eu sous les yeux ici même, il y a quelques mois, et qui se résume en ceci : Trois grossesses se sont produites dans un jeune ménage. La première s'est terminée par avortement. La seconde a donné naissance à un enfant qui, bientôt affecté de divers accidents spécifiques (pemphigus, syphilides papulo-squa- meuses, plaques muqueuses, etc.), n'a pas tardé à succomber. De la troisième est issu un enfant que vous avez vu dans le plus effroyable état (syphilides
taires dériveraient du père exclusivement : « I am firmly of opinion that, in a large majority of instances in English practice, inheri- tance of syphilis is from tlie falJier^ the mother having never suffe- red before conception, » [Mec/ical Times and Gazette, déc. 1876). — Voir de mt me : ^ clinical memoir on certain diseases of the eje and ear conséquent of inherited syphilis. Londres, i863; p. 209, Aph. XIV. — On the transmission of syphilis from Parent to Off^pring {The British nd foreign med.-chir. Review. 1877, vol. LX, p. 455). 1 L. Riocreux, Syphilis^ hérédité paternelle, thèses de Paris, 1888.
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 55
ulcéreuses, coryza, étiolement, cachexie), mais qui, traité, est parvenu à survivre. Or, la mère de ces enfants, minutieusement interrogée et examinée par nous, surveillée même pendant deux ans, n'a jamais présenté quoi que ce soit de suspect. Le père, tout au contraire, nous a avoué avoir con- tracté six mois avant son mariage une syphilis qu'il n'a jamais que très légèrement traitée.
Un de nos confrères, qui m'a fait l'honneur de me consulter, m'a raconté sa triste histoire, qu^- voici en deux mots. Il a contracté la syphilis un an avant son mariage et (notez ceci au passage, car la chose est instructive) ne s'est soumis pour tout trai- tement qu'à huit frictions mercurielles ! Sa femme, très attentivement surveillée par lui, est restée in- demne. Or, de ce ménage sont issues cinq gros- sesses qui se sont terminées comme il suit : trois par fausses couches, avec fœtus « présentant d'une façon indéniable des stigmates de syphilis » ; — deux par naissance d'enfants indubitablement sy- philitiques ' .
Bassereau a relaté l'observation d'un homme qui se maria deux mois après avoir contracté la syphilis. Sa femme, bien que restée indemne, n'en donna pas moins le jour à trois enfants syphili- tiques, dont un seul survécut. Les deux autres furent emportés, l'un à quinze jours, l'autre à sept semaines.
I. Voir Thèse de Riocreux, obs. XX, p. 67.
»6 l'héuéditi': syphilitique.
Une intéressante observation, que vous retrou- verez relatée tout au long dans la thèse du D' Que- sada, concerne un ménage où se produisirent quatre grossesses, qui se terminèrent de la façon suivante : trois par avortement, et une par naissance d'un en- fant syphilitique qui mourut dans le marasme, après avoir contaminé sa nourrice. Or, le père de ces enfants était syphilitique, tandis que la mère, prévenue de l'état de son mari, s'observant et ob- servée tant par son médecin que par Ricord, ne présenta jamais la moindre lésion suspecte ^
Hutchinson a relaté la navrante histoire d'un médecin qui, ayant contracté la syphilis, se crut en état de se marier trois à quatre ans plus tard, bien que n'ayant subi qu'un traitement de six mois. Sa femme (qui, je n'ai pas besoin de le dire, fut scru- puleusement surveillée par lui) resta indemne de tout accident. Elle devint enceinte onze fois, et voici quels furent les résultats de ces nombreuses grossesses : d'abord, deux enfants mort-nés; — puis, deux enfants syphilitiques, qui moururent de syphilis ; — puis, sept enfants survivants, mais tous affectés de syphilis héréditaire'.
Une observation presque identique de G. Behrend est relative à une femme qui, mariée à un homme syphilitique, devint enceinte onze fois. Les sept premières grossesses de cette femme se terminèrent
1. S, de Arteaga Quesada, Essai sur la syphilis congénitale. Thèses de Paris, i8G5.
2. V. Dritish and foreign medico-cliirurg. Revie.w., octobre 1877.
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 5^
par sept fausses couches, et les quatre suivantes par la naissance d'enfants qui survécurent, mais dont trois furent affectés de syphilis.
Je sais ]3ien que les observations qui servent de base à l'hérédité paternelle eocclusive ont été atta- quées. On leur a opposé une fin de non-recevoir, en disant « que, dans les cas en question, la mère n'a pas été suffisamment examinée ; que, si on l'avait mieux ou plus longtemps examinée, on au- rait trouvé sur elle la syphilis, parce qu'il n'est pas d'enfant syphilitique sans mère syphilitique, etc. «. Mais quelle est en vérité la portée d'une telle ob- jection ? Est-il à croire que les médecins qui ont vu, étudié, commenté les faits dont il s'agit soient tous tombés à l'unisson dans une même erreur, en méconnaissant tous la syphilis sur les mères de ces enfants syphilitiques ? Est-il à croire que des hommes du métier, que des médecins éminents-, tels que Ricord, Bassereau, Hutchinson et tant d'autres, n'aient pas vu la syphilis sur toutes ces femmes alors qu'ils la cherchaient^ alors qu'ils étaient étonnés de ne pas la trouver? Est-il admis- sible, enfin, que des médecins surveillant leur propre femme assidûment, quotidiennement (comme dans les deux cas que je viens de vous citer), aient pu laisser passer inaperçus sur elle des symptômes de syphilis? Non, très certainement non. Il est des objections qui ne sont dûs à faire, des objections non recevables, qui se réfutent d'elles-mêmes, qui
58 l'hérédité syphilitique.
tombent d'elles-mêmes, et celle-ei est du nombre. De sorte, je le répète, que la transmission hérédo- paternelle de la syphilis en V espèce peut être donnée comme une vérité clinique catégoriquement dé- montrée.
II. — Un second témoignage va fournir un puissant appui à la thèse que nous défendons.
C'est la prédisposition aux avortements résul- tant, dans un ménage, de l'état syphilitique du mari.
Il est absolument commun que l'enfant issu d'un père syphilitique et d'une mère saine n'arrive pas à terme, c'est-à-dire soit expulsé prématurément, à échéance plus ou m^oins distante du début de la grossesse. C'est même là un fait l^anal à force d'être fréquent, voire si banal que je crois superflu de citer à l'appui des preuves particulières.
Aussi bien peut-on poser ceci comme axiome : Le danger le plus commun, le plus usuel, auquel expose dans le mariage la syphilis du mari, c'est V avortement.
Encore si cette influence pernicieuse du père se bornait à une première grossesse, au premier enfant procréé par lui. Mais c'est que souvent, très souvent, elle se continue, se prolonge sur plusieurs grossesses plus ou moins rapprochées. De sorte que deux, trois, quatre, cinq, six, sept fausses cou- ches se succèdent parfois, sans explication autre que la syphilis du mari. Les cas de ce genre sont
HEREDITE PATERNELLE.
%
absolument communs, et j'en pourrais citer plus d'une centaine pour ma seule part.
Exemples :
Un de mes clients s'est marié en état de syphilis non traitée. Sa femme est devenue enceinte quatre fois en trois ans, et, bien qu'indemne de tout acci- dent spécifique, a avorté quatre fois, entre quatre mois et six mois et demi.
Un autre s'est marié dans des conditions à peu près identiques. Sa femme, sur laquelle je n'ai ja- mais surpris le moindre symptôme suspect, a fait six fausses couches^ exclusivement imputables à la syphilis du mari.
De même encore, dans le cas précité de G. Beh- rend, nous avons vu une femme saine, mariée à un homme syphihtique, avorter sept fois.
J'ai cherché à me rendre compte, de par les do- cuments que j'ai colligés de vieille date sur la question, de la fréquence des avortements dans le mariage, comme conséquence de l'union d'un homme syphilitique avec une femme saine \ et voici ce que mes notes, soigneusement dépouillées à ce point de vue, m'ont fourni comme résultats :
Sur io3 grossesses survenues dans ces conditions, 4i se sont terminées par des avortements ou des accouchements prématurés, amenant des enfants morts ou moribonds.
4i sur io3, cela donne au pourcentage 89 pour 100. Quelle proportion !
Et veuillez noter (ceci est essentiel à spécifier) que
6o l'hérédité syphilitique.
les éléments de cette statistique ont été recueillis dans la clientèle de ville, dans la clientèle bour- geoise, c'est-à-dire dans un milieu social où les conditions anti-hygiéniques de misère, de fatigues, de surmenage, d'alimentation insuffisante, d'excès, de débauche, etc., n'ont à jouer aucun rôle comme causes prédisposantes à l'avortement. Notez qu'ils ont été recueillis (ainsi que le démontre l'analyse de mes observations) sur des femmes jeunes, très bien portantes pour la plupart, récemment mariées, ne présentant aucune lésion utérine, etc. De sorte que, dans tous les cas qui composent cette statis- tique (réserve faite pour deux ou trois tout au plus), aucune cause, soit constitutionnelle, soit acciden- telle, ne peut être invoquée comme raison suffi- sante de l'avortement. L'avortement y reste inex- pliqué de par les influences prédisposantes ou dé- terminantes d'ordre vulgaire auxquelles il est usuel- lement imputable ; tandis qu'en revanche, un même élément étiologique spécial figure dans tous ces cas et s'y présente comme explication commune, à sa- voir : la syphilis du mari. Cela n'est-il pas fait pour imposer la conviction ?
Et ce n'est pas tout^ je n'ai pas tout dit. Car une autre considération s'ajoute encore aux preuves précédentes pour mettre en pleine lumière cette influence fœticide, abortive^ de la syphilis pater- nelle. Cette considération réside dans la signifi- cation de certains cas particuliers où, sur un même
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 6l
couple, on a pu comparer les résultats de plusieurs grossesses, les unes antérieures et les autres posté- rieures à la syphilis du mari. De ce parallèle se dégage en toute évidence l'influence paternelle sur le produit de conception. Eh bien, jugez de cette influence par le cas suivant, identique du reste à plusieurs autres que je pourrais produire.
Un de mes clients se marie sain avec une femme saine. H a tout d'abord quatre enfants « superbes >). Puis il contracte la syphilis. Il se tient sévèrement en garde contre tout risque de contagion par rapport à sa femme (qui d'ailleurs reste indemne), et de- vient père quatre autres fois. Résultats de ces quatre grossesses consécutives à la syphilis du mari : trois fausses couches, et naissance à terme d'un enfant des plus chétifs, qui succombe à brève échéance en état de consomption.
Ainsi : a<i'ant la syphilis du mari , quatre gros- sesses heureuses, donnant des enfants sains ; — et, après la syphilis du mari, quatre grossesses à termi- naison néfaste. Que voulez-vous de plus probant?
m. — Une troisième preuve, non moins topique en faveur de l'hérédité paternelle, ressort encore d'une considération qui constitue une sorte de co- rollaire de la précédente, à savoir V influence du traitement. Je m'explique.
L'avortement, venons-nous de dire, est à l'ordre du jour dans les ménages à mari syphilitique. Eh bien, à qui la faute? Au mari, à la syphilis du mari.
62 l'hérédité syphilitique.
Car, traitez ce mari, dont plusieurs enfants, je sup- pose, viennent de mourir avant de naître; corrigez chez lui le vice diathésique par un traitement ap- proprié (par le mercure, notamment, plus actif et plus puissant que l'iodure en pareil cas), et presque infailliblement vous verrez les grossesses ultérieures, dans ce m^éme ménage, arriver à terme et donner des enfants vivants. Voilà, j'imagine, un résultat qui sera démonstratif en l'espèce, puisqu'il dénon- cera en toute évidence la cause des avortements antérieurs, c'est-à-dire l'influence nocive du père.
Or, les observations de ce genre pullulent au- jourd'hui ; elles sont, dirai-je, monnaie courante. Il n'est pas un de nos collègues en accouchements qui ne vous en raconterait plusieurs, empruntées à sa pratique personnelle. Je vous en citerai bon nombre alors que nous aurons à parler de l'in- fluence du traitement sur l'hérédité syphilitique. Mais, dès ce moment et comme spécimen, laissez- m^oi vous relater le cas suivant (dont je puis vous garantir l'absolue authenticité, car il est relatif à une famille amie, que je traite depuis bien long- temps et dont les moindres incidents morbides sont tous venus à ma connaissance).
J'étais tout jeune docteur, lorsqu'un jour je ren- contre par hasard un ancien camarade de collège que j'avais perdu de vue depuis longtemps. Nous causons, et ledit camarade me conte ses chagrins : « Je suis désolé, me dit-il; ma femme vient de faire, ce matin même, une quatrième fausse couche, à
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 63
quelques mois de grossesse \ et, ce qu'il y a de pis, c'est que toutes ces fausses couches se sont produites sans la moindre cause qui les puisse expliquer, sans accident, sans chute, sans imprudence. Ce ne peut être ma faute, à moi; car tu vois si je suis solide et bâti pour avoir des héritiers. Cela ne peut dépendre évidemment que de ma femme ; et , bien qu'elle soit grande, forte en apparence, bien constituée, je commence à croire, à mon grand chagrin, qu'elle ne me donnera jamais d'enfants. »
Un souvenir alors me traverse l'esprit, et je ré- plique : ce Mais, dis-moi, peut-être bien ta femme, que tu accuses, n'est-elle pas responsable, comme tu le crois, de ces multiples fausses couches ; peut- être bien serait-ce toi le vrai coupable. Car je t'ai connu, il y a quelques années, au quartier latin, avec une belle vérole que tu ne me paraissais pas soigner d'une façon bien exemplaire. A ta place, je me traiterais, je reprendrais du mercure. »
Bien que donné pour ainsi dire à l'aventure, en pleine rue, le conseil fut suivi, et le traitement spécifique repris avec intensité. Car, en me quit- tant, mon ami n'eut rien de plus pressé que de courir chez son ancien pharmacien, où il fit une formidable provision de pilules de Ricord dont il se gorgea pendant toute une année. Or, quinze mois plus tard, sa femme accouchait à terme d'un enfant vivant, lequel a aujourd'hui plus d'une ving- taine d'années. Et, depuis lors, elle a eu trois autres grossesses qui n'ont pas été moins heureuseSi
64 l'hérédité syphilitique.
Donc, quatre fausses couches avant le traitement du mari, et quatre enfants vivants après le traite- ment dudit mari! Inutile, n'est-ce pas? de com- menter un tel fait.
Or, les faits de ce genre, entendez-le bien, con- stituent ce qu'on peut appeler la règle en l'espèce.
Eh bien, je demande s'il n'est pas une conclusion rigoureuse à tirer des cas en question, à savoir : que l'influence hérédo-syphilitique paternelle est bien sûrement la cause à laquelle il convient de rapporter les avortements antérieurs au traitement du mari.
IV. — • Enfin, l'hërëdité paternelle de la syphilis ne ressort pas avec moins d'évidence de ce qu'on appelle la syphilis par conception.
Vous savez ce qu'on a désigné de la sorte. C'est la sypTiilis importée dans le sein de la mère par un enfant héréditairement infecté par un père syphili- tique-, — syphilis toute spéciale, dont nous aurons bientôt à parler longuement et dont le propre est de débuter d'emblée par l'ordre des accidents spé- cifiques dits accidents généraux.
Or, pour le dire par avance, cette syphilis con- ceptionnelle repose sur la triade de faits que voici :
1° Un homme se marie en état de syphilis et pro- crée un enfant;
2° Sa femme, saine jusqu'alors, commence au cours de la grossesse à présenter des symptômes non douteux de syphilis, mais d'une syphilis dou-
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 65
blement étrange; — étrange, d'une part, en ce qu'elle fait invasion d'emblée, sans chancre pour exorde, par des accidents généraux ; — étrange d'autre part, en ce qu'elle ne procède pas d'une contagion, le mari étant resté indemne depuis son mariage de tout accident contagieux;
3° Puis, enfin, l'enfant naît en état de syphilis.
Voilà les faits. Reste à les interpréter. Eh bien, l'interprétation en est véritablement aussi simple que forcée ; elle s'impose, en dénonçant la syphilis paternelle comme origine de la contamination de la mère par le fœtus.
Et, en effet, de qui voulez-vous que cette femme, dans les conditions précitées, tienne l'infection ? De son mari? Mais cela n'est pas admissible, puisque le dit mari n'a présenté aucun accident contagieux depuis son mariage, et puisque la syphilis de cette femme est absolument différente de ce qu'est une syphilis de contagion, laquelle débute forcément par un chancre. — Cette femme ne peut donc tenir la syphilis que de son enfant.
A son tour, cet enfant, de qui peut-il tenir la syphilis? Ce n'est pas de sa mère, puisque cette femme était saine avant de le recevoir dans son sein. Il faut donc, obligatoirement, qu'il la tienne de son père.
Et c'est ainsi qu'indirectement la syphilis par conception vient encore ajouter une raison de plus à toutes celles qui démontrent l'hérédité paternelle de la syphilis.
FoURNiER. — L'Hérédité SYphilitiquc. 5
66 l'hérédité syphilitique.
Arrivé au terme de cette longue et importante démonstration, je crois utile de me résumer en disant':
Quatre ordres de témoignages établissent que l'hérédité syphilitique peut s'exercer d'un père à son enfant :
1° Preuves directes, démontrant la syphilis chez l'enfant issu d'un père syphilitique et d'une mère saine ;
2° Fréquence excessive des avortements dans les ménages où le père seul est entaché de syphilis ;
3° Critérium thérapeutique, à savoir : dans ces mêmes ménages, tendance aux avortements immé- diatement enrayée par le traitement spécifique du père;
4° Enfin, preuve indirecte, dérivant de la syphilis conceptionnelle.
Chacun de ces témoignages est significatif à lui seul; a fortiori leur ensemble n'est-il que plus probant.
Donc, au total, l'hérédité syphilitique paternelle est vine vérité clinique irrécusable.
VII
Et cependant, ainsi que je vous le disais précé- demment, l'hérédité paternelle de la syphilis a été méconnue, mise en doute, contestée, voire absolu- ment récusée. Comment cela a-t-il pu se produire ?
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 6y
Comment s'est-il trouvé des praticiens instruits, distingués, éminents, pour affirmer la non-exis- tence de l'hérédité syphilitique a paire?
Il est à cela deux grandes raisons que je vais dire et sur lesquelles j'ai même le devoir d'insister longuement, d'abord parce que chacune d'elles est en soi intéressante à connaître, puis, en second lieu et surtout, parce qu'elles constituent deux cha- pitres vraiment majeurs dans l'étude de l'hérédité syphilitique paternelle.
Premier point. — Ce qui explique tout d'abord que l'hérédité syphilitique paternelle ait pu être méconnue, c'est qu'elle est loin de s'exercer dans- tous les cas où elle aurait à s'exercer, ainsi que nous allons l'établir dans un instant.
Conséquemment, on conçoit que des observateurs aussi bons cliniciens que possible, aussi conscien- cieux que possible, aient pu tomber sur des séries de cas négatifs (j'entends sur des séries de cas où cette hérédité ne s'est pas produite), et que de la sorte ils se soient laissé entraîner à conclure, par une généralisation imprudente, à la non-existence de l'hérédité syphilitique paternelle.
Et, en effet, nombreux, très nombreux sont les cas — je m'empresse de le reconnaître tout aussi- tôt, après avoir établi en principe le dogme irrécu- sable de l'hérédité syphilitique paternelle, — très nombreux, dis-je, sont les cas où cette hérédité ne s' eœerce pas. ^ouspouYons même en distinguer de
68 l'hérédité syphilitique.
trois ordres, qui vont tous également concourir à justifier notre proposition.
1° D'abord, à envisager les choses dans leur plus grande généralité, il est absolument certain que quantité d'hommes syphilitiques, mariés à des femmes saines, ont eu des enfants indemnes de syphilis.
Des faits de ce genre ont été cités par nombre de médecins, notamment par MM. Ricord, Culle- rier, Notta, Mireur, etc. J'ai pris, pour ma part, il y a une dizaine d'années, la peine bien inutile d'en relater 87 observations circonstanciées*, et j'en au- rais le triple au moins à produire aujourd'hui. Mais à quoi bon? Tout le monde en est là. Quel est celui d'entre nous, ici, qui ne retrouverait dans ses souve- nirs personnels un, deux, trois, quatre amis, cama- rades ou connaissances, qui, affectés de la syphilis avant leur mariage, ont eu plus tard un ou plu- sieurs enfants sains, absolument exempts de toute lésion syphilitique ?
2° Mais il y a plus. On pourrait croire, à s'en tenir à cette première constatation générale, que ce sont les sujets guéris de leur syphilis (guéris d'une façon ou d'une autre, ou par le traitement ou par le temps) qui engendrent des enfants indemnes de sy- philis. Eh bien, pas du tout ! Quand on descend à l'analyse des faits, on voit ceci : c^e des sujets non guéris de leur syphilis peuvent avoir des enfants non entachés de syphilis.
I. V. Syphilis et mariage^ Pièces justificatives, note I.
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. 6c)
A preuve une foule d'observations où des sujets plus ou moins anciennement affectés de syphilis ont engendré des enfants sains, puis, quelques mois ou quelques années plus tard, ont présenté tels ou tels accidents de syphilis, témoignages non équi- voques de leur état de non-guérison à l'époque où ils ont procréé ces enfants.
Un exemple, entre plus d'une centaine que je pourrais vous rapporter*.
Un de mes clients, syphilitique depuis une dizaine d'années, se marie et devient père de six enfants. Ces six enfants, je n'ai cessé de les avoir sous les yeux depuis leur naissance; j'ai assisté à leurs moin- dres indispositions, et je suis autorisé à les déclarer tous absolument sains. Leur mère non plus n'a jamais présenté le moindre symptôme suspect. Or, cet homme a été affecté : i° après la naissance de son troisième enfant, d'une syphilide tuberculeuse du thorax; i° après la naissance de son cinquième enfant, d'une gomme palatine.
Donc, voilà un sujet qui a engendré six enfants sains, bien que non-guéri et en dépit d'une syphilis assez vivace et assez persistante pour s'accuser à long terme par une double explosion d'accidents.
3° Et ce n'est pas tout encore. On a vu des sujets syphilitiques engendrer (et cela toujours dans les mêmes conditions, c'est-à-dire la mère étant et demeurant saine), on a vu, dis-je, des sujets syphi-
I. J'ai relaté ailleurs 35 cas de cet ordre ("V. Syphilis et mariage, 2"= édit., Pièces justificatives, note i, p., 347).
^O L HEREDITE SYPHILITIQUE.
litiques engendrer des enfants sains, alors que leur syphilis était récente et à peine traitée; — alors, qu'ils se trouvaient en pleine période secondaire ; — alors qu'ils étaient affectés, au moment même de la con- ception de V enfant^ d'accidents divers de syphilis; — alors, en un mot, qu'ils n'avaient pas encore dé- passé cette redoutable période où la dialhèse fait pour ainsi dire sa crise aiguë et semble rationnel- lement' devoir être le plus pernicieuse comme dangers de transmission héréditaire. Cullerier, no- lamment, a cité, à ce point de vue, des cas que je ne puis qualifier autrement que de stupéfiants, tant ils vont à l'encontre de ce qui est le plus usuel- lement observé et des croyances généralement ad- mises.
Deux exemples.
Un jeune homme se marie six mois après avoir contracté la syphilis. Tout aussitôt après le mariage, il est affecté d'une poussée assez intense d'accidents secondaires : roséole, plaques muqueuses guttu- rales, adénopathies cervicales, douleurs multi- ples, etc. Cet homme procrée un enfant dans ces conditions. Or, cet enfant vient au monde sain, fort, bien constitué. Et, suivi cinq ans par Cullerier, il reste indemne de tout accident spécifique!
Second cas. — Un homme de 35 ans contracte un chancre syphilitique, ne se traite pas, et aboutit, quelques mois plus tard, à la série classique des accidents secondaires : sypliilides cutanées, plaques muqueuses de la bouche et de la gorge, plaques
HEREDITE PATERNELLE. ^1
muqueuses périanales, croûtes impétigineuses du cuir chevelu, alopécie, adénopathies cervicales, etc. Il est alors soumis au traitement mercuriel pen- dant une quinzaine de jours, et, quinze jours après, il se m^arie, en dépit de toutes les observations de CuUerier. — Sa femme devient enceinte dès les premières approches conjugales. — Et, neuf mois plus tard, naît un enfant « très bien constitué, très vigoureux », exempt de tout symptôme spécifique. Cet enfant est surveillé huit ans par Cullerier et continue à rester sain. — Deux autres enfants, nés du même père ultérieurement, restent également indemnes'.
Ecoutez encore le récit de cet autre fait qui m'a été obligeamment communiqué par mon si regretté collègue et ami le D"" M. Raynaud. Recueilli dans des conditions toutes spéciales, offrant une chrono- logie de précision quasi mathématique, ce cas est le plus probant qu'on puisse citer en l'espèce.
Un homme marié contracte la syphilis dans une escapade amoureuse. Pendant plusieurs mois il trouve d'ingénieux prétextes pour éviter tout rap- port avec sa femme; mais enfin, un jour, il s'oublie. Le lendemain, il accourt épouvanté chez M. Raynaud, qui constate sur lui des plaques mu- queuses de la bouche. Neuf mois plus tard, jour
I. Cullerier, De r hérédité de la syphilis^ mémoires de la Socie'té de chirurgie de Paris, i85i.
Plusieurs cas de même genre se trouvent consignés dans l'inté- ressant travail de M. Notta, auquel nous avons déjà fait allusion précédemment (Arcli. générales de méd., 1860, t. I).
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
pour jour, et sans qu'il fût survenu aucun autre rapprochement avec son mari, la jeune femme ac- couchait, et accouchait d'un enfant sain, lequel, attentivement surveillé par M. Raynaud pendant dix ans, n'a jamais présenté le moindre phénomène d'infection syphilitique.
Ainsi, voilà un homme qui, le jour même ou il engendre un enfant, est affecté d'accidents d'ordre secondaire et dont l'enfant néanmoins nait exempt de syphilis! En vérité, ce serait à n'y pas croire; et les observations de ce genre, on serait presque tenté de les désavouer, de les renier, si elles n'étaient signées de noms qui font autorité, qui font foi.
Que conclure, donc, de tous ces faits qui, je le répète^ ne sont ni réfutables, ni même discutables ? Une seule chose :
C'est que l'hérédité syphilitique paternelle ne s'exerce pas dans tous les cas où elle pourrait s'exercer.
Ces faits, il nous faut, en religieux observateurs des données fournies par la clinique, les enregistrer et les accepter, voire sans les comprendre-^ car inu- tile de dire que, quant à présent, nous ne saurions leur donner aucune explication de nature à nous satisfaire; — et, de même qu'en principe nous avons défendu et démontré l'authenticité de l'hé- rédité syphilitique paternelle, de même que nous avons reconnu cette hérédité comme une loi, de même nous devons admettre sans hésitation que
IIJÎRÉDITK PATERNELLE. y'd
cette loi souffre des exceptions, et que ces excep- tions, si extraordinaires, si mystérieuses qu'elles puissent nous paraître, n'en portent pas moins, elles aussi, le cachet de la plus parfaite authen- ticité.
Second point, celui-ci est des plus curieux, je puis dire aussi des moins connus. J'appelle donc sur lui toute votre attention.
Une raison qui certes a pu, en nombre de cas, faire méconnaître l'influence hérédo-paternelle de la syphilis, c'est que cette influence se traduit bien moins souvent par la transmission de la syphilis EN L,' ESPÈCE que par des manifestations , des acci- dents d'un autre ordre^ lesquels, n'ayant plus rien de syphilitique en apparence, peuvent facilement donner le change sur leur véritable origine. — Je m'explique.
Certes, les enfants issus d'un père syphilitique et d'une mère saine peuvent recevoir la syphilis de leur père et présenter des manifestations d'ordre purement syphilitique. Mais c'est là^ sinon l'excep- tion, au moins le cas le moins commun.
Ce qui est bien autrement fréquent (remarquez ceci), c'est que l'influence liérédo-syphilitique pa- ternelle se traduise d'une autre façon. — Et com- ment ?
Par des avortements ;
Par des accouchements prématurés d'enfants morts ou moribonds ;
|j4 l'hérédité syphilitique.
Par la naissance d'enfants vivants, qui succom- bent à courte échéance, à échéance de quelques semaines, de quelques mois, parfois de quelques années, et qui succombent emportés par diverses maladies, au nombre desquelles les plus fréquentes sont :
La débilité native-, — la consomption sans cause cliniquement appréciable ; — des accidents céré- braux, des convulsions, l'hydrocéphalie, etc.
Que si de tels accidents (avortements, accou- chements prématurés, morts rapides après la nais- sance, etc.) ne se produisaient que d'une façon rare ou peu commune dans les conditions susdites, on serait en droit de les considérer comme des coïnci- dences de pur hasard. Mais c'est que, tout au con- traire, ils se manifestent en pareil cas avec une fréquence telle qu'ils constituent le fait courant, le fait habituel, presque la règle.
De sorte qu'alors, au nom de la plus élémentaire logique, au nom du bon sens, ils s'imposent en toute évidence comme des effets d'une seule et même cause, comme des résultats d'une influence qui leur est commune, à savoir, de l'influence hérédo-syphilitique paternelle. Impossible de mé- connaître, de récuser cette cause, cette influence, et de ne pas y rapporter toutes les conséquences dont je viens de parler.
Au surplus, jugez-en par la statistique suivante.
J'ai réuni, comme je vous le disais il n'y a qu'un instant, un certain nombre d'observations bien au-
HÉRÉDITÉ PATERNELLE. j5
tlientiques de grossesses issues d'un père syphili- tique et d'une mère saine. Or, à ne parler que du seul ordre de cas que nous ayons à envisager pour l'instant, c'est-à-dire des cas où ces grossesses se sont terminées d'une façon malheureuse, que s'est- il produit? En autres termes, alors que l'influence liérédo-paternelle s'est montrée nocive, comment, de quelle façon s'est-elle montrée nocive? Le voici, d'après les résultats fournis par io3 grossesses de cet ordre :
I. Eufants nés YÏvants, puis affectés de syphilis héré- ditaire immédiate ou précoce 17 cas.
II. Enfants nés vivants, puis ayant présenté des sym- ptômes de syphilis héréditaire tardive 2 —
III. Avorlements, ou accouchements prématurés d'en- fants morts 4^ —
IV. Enfants morts à diverses échéances (mais très généralement à brève échéance) sans manifestations spé- cifiques évidentes 4^ —
Total ...... io3 cas.
Ainsi, sur io3 cas, 19 enfants seulement ont hé- rité de la syphilis paternelle en r espèce, tandis que 4i sont morts avant de naître, et 43 nés vivants sont morts à courte échéance.
C'est-à-dire, conséquemment, que l'influence hérédo-paternelle s'est traduite :
1° Par la transmission de la syphilis, dix-neuf fois ; — au pourcentage, 18 pour 100.
2° Par la mort, quatre-vingt-quatre fois ; — au pourcentage, 81 pour 100.
Eh hien, comparez ces deux chiffres (81 0/0 et
^6 L'HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE.
i8 o/o), et voyez quel écart significatif de l'un à l'autre. Voyez combien la proportion des cas mor- tels sans manifestations syphilitiques apparentes (voire constatables à l'autopsie) dépasse celle des transmissions syphilitiques en l'espèce.
Ici, cependant, je prévois une objection, d'ail- leurs bien légitime. On dira peut-être : ce Mais ce chiffre de 84 morts imputées à l'hérédité n'est-il pas excessif et ne demanderait-il pas à être abaissé ? Car, en toute évidence, les femmes n'ont pas besoin d'un mari syphilitique pour avorter, pas plus que les enfants n'ont besoin d'un père syphilitique pour mourir. ):> Soit ! répondrai-je, cela n'est pas niable. Mais abaissons cette proportion de mortalité ; de 8i pour loo réduisons-la à 70 pour 100, à 60 pour 100, à 5o pour 100, voire davantage encore, si vous le voulez. Toujours est-il que, toutes ces déductions faites, même faites à l'excès, il n'en subsistera pas moins un écart considérable entre les deux chiffres en question, écart dont l'inéluc- table signification est la suivante, à savoir :
Que V influence hérédo-syphilitique du père se traduit bien plus souvent par la mort de l'enfant que par la transmission de la syphilis à F enfant.
En autres termes, la syphilis paternelle tue l'en- fant bien plus souvent qu'elle ne se borne à lui transmettre la syphilis.
Heureux donc, pourrait-on dire, les fils de pères syphilitiques, alors qu'ils en sont quittes avec
HEREDITE PATEUNELLE. 77
l'héritage paternel au prix de la syphilis ! Car ils
avaient droit à pis que cela; car, normalement, la
mort était pour eux l'éventualité la plus probable.
Voilà ce qui ressort de la statistique précédente.
Eh bien, maintenant, laissez-moi dire que les résultats de cette statistique concordent absolument avec ce qu'on peut appeler le courant de l'opinion, l'impression générale. Interrogez quelque prati- cien ayant l'expérience de telles choses ; il ne manquera guère, après avoir consulté ses souve- nirs qui, pour n'être pas chiflPrés, n'en seront pas moins conformes à la vérité clinique, de vous ré- pondre ceci : « Il est assez rare de voir un enfant issu d'un père syphilitique et d'une mère saine naître avec la syphilis, tandis qu'il est absolument commun de voir mourir les enfants nés d'un père syphilitique et d'une mère saine. Ah ! voilà, par exemple, ce qui s'observe en pratique d'une façon courante ! Quantité de pères syphilitiques, surtout au début de leur mariage, ne procréent d'enfants que pour les voir mourir. « Et tout aussitôt ledit praticien vous racontera tels ou tels cas de sa clien- tèle, où un père syphilitique aura perdu un, deux, trois, quatre enfants.
C'est là, tout au moins, ce que m'ont répondu nombre de mes collègues, nombre d'accoucheurs notamment, que j'ai consultés sur ce point. Et la concordance de leur opinion avec les résultats de ma statistique personnelle m'est particulièrem^ent
^8 l'hérédité syphilitique.
précieuse, car elle constitue un témoignage probant à l'appui des idées que je viens de soutenir.
En effet, telle est bien, je crois, la vérité clinique. Et ainsi doit être envisagée l'hérédité syphilitique paternelle quant à ses résultats. C'est une hérédité qui, somme toute, ne s'exerce que d'une façon rela- tivement peu commune en tant que transmission de la syphilis en l'espèce ; tandis que c'est une hé- rédité bien plus souvent et bien autrement dange- reuse en ce qu'elle est susceptible de transmettre à l'enfant quelque chose de plus grave encore que la vérole, à savoir, ce que j'ai appelé d'une façon gé- nérique V inaptitude à la vie^ inaptitude à la vie se traduisant soit par la mort in utero^ soit par la mort peu de temps après la naissance, comme consé- quence d'une débilité native, d'une déchéance ori- ginelle, d'une résistance vitale insuffisante.
Au total donc et comme conclusion, le résultat le plus commun, le danger par excellence de l'héré- dité syphilitique paternelle, c'est la mort de V en- fant.
En résumé, nous venons de voir tour à tour : i" que l'hérédité paternelle est bien loin de s'exer- cer dans tous les cas où il est à croire qu'elle pour- rait, qu'elle devrait s'exercer ; — 2° qu'elle se tra- duit bien moins souvent par la transmission de la syphilis en l'espèce que par des manifestations d'un autre ordre n'ayant rien de syphilitique en appa-
HEREDITE PATERNELLE.
79
rence et pouvant facilement donner le change sur leur véritable origine.
Eh bien, s'il en est ainsi, ne voyez-vous pas com- ment une erreur est possible, sinon facile, relative- ment à l'appréciation de l'influence paternelle en fait d'hérédité syphilitique ? Ne concevez- vous pas maintenant qu'en raison de telle ou telle des deux considérations précitées il ait pu se trouver des médecins pour tenir en doute, voire pour récuser absolument l'hérédité syphilitique paternelle? Et cela, ou bien parce que le hasard a pu leur faire rencontrer toute une série de cas où cette hérédité ne s'est pas produite, ou bien parce qu'ils ont pu méconnaître les formes non syphilitiques d'ap- parence sous lesquelles se traduisait cette héré- dité, alors qu'elle s'exerçait d'une façon autre que par la transmission de la syphilis en l'espèce.
Telle est, sans aucun doute, la double raison de l'erreur à laquelle ont été conduits les médecins qui ont récusé l'hérédité syphilitique paternelle .
Or, cette erreur, il était important de la réfuter, en raison des conséquences qu'elle comporte, et c'est pourquoi je n'ai pas reculé devant la longue argumentation qui précède. Ces conséquences, en effet, sont des plus graves et doivent dès l'instant être signalées. Elles sont de deux ordres. Les unes concernent l'enfant : — les autres concernent la mère.
D'une part, l'enfant est gravement menacé par la
8o l'hérédité syphilitique.
syphilis de son père ; nous venons de voir com- ment et à quel degré.
Mais, d'autre part aussi, l'hérédité paternelle est également une menace, un danger pour la mère, qui peut subir le contre-coup de cette hérédité en recevant de l'enfant qu'elle porte dans son sein la syphilis que cet enfant tient de son père. C'est là, vous le savez, ce qu'on appelle la syphilis par conception, laquelle, au total, est donc fille de l'hérédité paternelle, si je puis ainsi parler. Or, ainsi que j'aurai bientôt à vous le dire, cette sy- philis par conception ne laisse pas d'être assez commune.
En résumé, donc : vn père syphilitique est
DANGEREUX DIRECTEMEKT POUR SON ENFANT DE PAR SA SYPHILIS PERSONNELLE ; ET IL EST DANGEREUX IN- DIRECTEMENT POUR SA FEMME DE PAR LA SYPHILIS DONT IL PEUT INFECTER HÉRÉDITAIREMENT SON EN- FANT.
Certes — et c'est là un point sur lequel j'aurai à insister longuement dans l'un des chapitres qui doivent suivre — l'hérédité paternelle est très infé- rieure comme degré d'intensité nocive à l'hérédité maternelle et à l'hérédité mixte. Mais notez que cette infériorité, elle la compense, et la compense bien largement, par la fréquence des cas où elle est susceptible de s'exercer.
Et, en effet, dans les ménages où un seul des con- joints est affecté de syphilis, la syphilis n'est-elle
HEREDITE PATERNELLE.
pas, sauf exception des plus rares, du côté du mari? Je n'ai vu que treize fois sur cinq cents cas la femme apporter la syphilis dans le ménage, tandis que j'ai constaté l'inverse quatre cent quatre-vingt-sept fois.
En second lieu, les ménages où le mari seul est syphilitique ne sont-ils pas infiniment plus nom- breux que ceux où les deux conjoints sont infectés? Car, somme toute, la femme échappe assez souvent à la syphilis du mari.
D'où résulte ceci :
L'hérédité syphilitique paternelle, bien que moins nocive que les deux autres hérédités syphilitiques (hérédité maternelle et hérédité mixte), se trouve devenir en réalité la plus désastreuse, devenir celle qui fait le plus de victimes, parce que c'est celle qui a le plus souvent l'occasion de s'exercer ; numéri- quement, on peut la dire l'hérédité prépondérante.
Conséquemment, c'est elle, surtout, qu'il faut viser et combattre par les deux ordres de moyens dont nous disposons en pratique et dont j'aurai plus tard à vous entretenir, à savoir : Le trai- tement, qui, comme nous le verrons, exerce une influence considérable sur l'hérédité, en atté- nuant, voire en annulant sa puissance de trans- mission ; — et l'interdiction du mariage aux sujets incomplètement guéris, restant susceptibles d'être encore dangereux pour leurs enfants ou pour leurs femmes. .-
FoufiNiEK. — L'Hérédité SYphilitiquc.
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
VIII
PARALLÈLE DES TROIS HÉRÉDITÉS SYPHILITIQUES.
(hérédité paternelle, hérédité maternelle, hérédité mixte)
Nous avons \u, par ce qui précède, que l'héré- dité syphilitique reconnaît une triple provenance :
Elle peut dériver du père, exclusivement ;
Elle peut dériver de la mère, exclusivement ;
Elle peut dériver des deux géniteurs.
Or, cela posé, il va être curieux pour nous main- tenant de mettre en parallèle ces trois hérédités, pour les étudier à divers points de vue.
Déjà nous sommes renseignés sur leur degré de fréquence relative, et nous savons positivement ceci : Que la plus commune, et de beaucoup, est l'héré- dité paternelle; — et que la moins commune des trois, à une très longue distance, est l'hérédité ma- ternelle exclusive.
Mais un point d'importance bien supérieure réclame notre attention tout aussitôt; et celui-ci, tout naturellement, a trait aux dangers que com- portent ces trois hérédités. Sont-elles également nocives quant à leurs résultats? Ou bien, si elles le sont à des degrés différents, à quels degrés re- latifs le sont-elles? Et laquelle, en définitive, est la plus pernicieuse, la plus redoutable?
PARALLÈLE DES TROIS HÉRÉDITÉS. 83
Eli bien, l'observation clinique nous a éclairés sur ces derniers points ; et deux propositions, que je puis bien énoncer à l'avance, quitte à les justifier par ce qui va suivre, résument l'ensemble de nos connaissances sur le sujet. Les voici :
i" L' hérédité maternelle est infimment plus no- cive que l'hérédité paternelle ;
1° L'hérédité mixte (celle qui dérive des deux conjoints) est plus nocive que telle ou telle des deux autres hérédités s' exerçant séparément, s exerçant d'une façon exclusive .
De cela voici maintenant la démonstration.
i" L'hérédité maternelle, ai-je dit, est infini- ment plus nocive que l'hérédité paternelle.
Et, en vérité, comment pourrait-il en être au- trement? A priori, ce résultat s'impose. L'in- fluence du père, en effet, n'est et ne peut être qu'une influence héréditaire, au sens strict du mot, c'est-à-dire une influence de fécondation; tandis que celle de la mère, c'est d'abord, au même titre que pour le père, une influence d'hérédité, mais c'est aussi une influence de nutrition, de développement. C'est une influence qui s'exerce et se continue pendant toute la grossesse, puisque l'enfant vit et se nourrit de sa mère pendant neuf mois, tandis que celle du père cesse aussitôt après la fécondation.
Il est donc évident, de ce chef seul^ que les alté- rations de la santé maternelle doivent retentir sur
8'4 l'hérédité syphilitique.
le fœtus. Peut-être encore n'est-il pas impossible que cette condition spéciale ne renforce in utero l'intoxication héréditaire du fœtus et ne l'ag- grave.
Voilà ce que préjuge le bon sens et ce que confirme de tous points la clinique.
En tout cas, pour une raison ou pour une autre, les résultats de l'hérédité maternelle peuvent être dits désastreux, comme vous allez le voir.
Que nous ne soyons pas autorisés quant à présent à en juger en dernier ressort, étant donné le petit nombre de cas où il nous a été permis de l'appré- cier exactement jusqu'à ce jour^je n'en disconviens pas. Mais ce que nous en savons, ce que nous en connaissons suffit bien d'ores et déjà à nous montrer le haut degré de nocivité, de perniciositë même, oserai-je dire, que comporte cette hérédité mater- nelle.
Laissez-moi, en effet, vous rappeler sommaire- ment les résultats que m'ont fournis à ce sujet les treize cas bien authentiques (recueillis dans ma clientèle de ville) dont j'ai déjà eu l'occasion de vous parler précédemment.
De treize ménages, où la femme seule était sy- philitique (le mari étant indubitablement exempt de syphilis), sont issues 28 grossesses, qui ont abouti à ceci :
7 enfants vivants ' ;
I. De ces sept enfants, quatre étaient syphilitiques; — trois sont restés sains (au moins tant que je les ai eus en observation).
PARALLÈLE DES TROIS HÉRÉDITÉS. 85
1 5 enfants morts (à courte échéance, en général *);
Et 6 fausses couches.
Au total, donc, 21 cas de mort sur 28 grossesses; ce qui équivaut à une mortalité de 80 pour 100 !
Un tel chiffre, en vérité, n'a pas besoin de com- mentaires. Jamais rien de semblable, de l'aveu una- nime, ne s'observe comme résultat de l'influence hérédo-paternelle. // nest que la mère qui soit nocive à ce degré pour sa progéniture.
D'ailleurs, ce caractère malfaisant, malin, per- nicieux, de l'hérédité maternelle ressortira mieux encore pour vous, j'en ai la conviction, du récit ou de l'analyse de quelques-unes de ces observa- tions.
Rappelez -vous d'abord le fait de cette jeune femme qui, infectée au sein par la nourrice de son enfant, devint enceinte quatre fois, au cours des années suivantes, du fait de son mari sain, et avorta quatre fois.
Rappelez -vous encore l'observation également précitée de cette nourrice qui, déjà mère d'un en- fant sain et robuste, fut infectée par un nourrisson syphilitique et devint ultérieurement enceinte six fois (toujours du fait de son mari resté indemne). Or, ces six grossesses se terminèrent ainsi :
Trois fois par avortement;
I. Sur ces quinze enfants, neuf sont morts d'accidents indubita- blement syphilitiques, et les six autres de débilité, de consomption progressive, de convulsions, etc. . ,
S6 l'hérédité syphilitique.
Trois fois par la naissance d'enfants étiques qui succombèrent à courte échéance.
Plus instructive encore est la navrante histoire de l'une de mes clientes.
Mariée à un homme sain, elle commence (notez ceci, car c'est intéressant comme contraste) par avoir deux beaux enfants, âgés aujourd'hui de dix- neuf et de dix-sept ans. Elle reçoit alors la syphilis de son mari, et, un an après, accouche d'un enfant syphilitique qui succombe à trois mois.
Puis, devenue veuve, elle se remarie l)ientôt avec un homme sain, que j'ai examiné plusieurs fois et sur lequel je n'ai jamais constaté le moindre symp- tôme suspect. De ce second mari elle a six enfants, qui tous meurent dans les conditions que voici :
Premier enfant. — Syphilitique. — Mort à six semaines.
Deuxième enfant. — Syphilitique. — Mort à cinq mois.
Troisième enfant. — Syphilitique. — Mort à quatre mois et demi.
Quatrième enfant. — Syphilitique. — Mort à cinq mois.
Cinquième enfant. — Syphilitique (?) — Mort à neuf mois.
Sixième enfant. — Syphilitique. — Mort à neuf mois ' .
I. Trois ans après la naissance de ce sixième enfant, j'ai été consulté par sa mère, alors affectée d'une gomme du voile palatin, avec début de perforation.
PARALLELE OES TROIS HEnEDITES
Quelle nocivité, quelle perniciositë! — Eh bien, c'est là ce que réalise, non pas toujours assurément, mais d'une façon assez commune, l'influence hé- rédo-syphilitique de la mère; et c'est là ce qui la rend si particulièrement dangereuse pour l'enfant.
2" L'hérédité mixte, ai-je dit en second lieu, est plus nocive que l'hérédité exclusive du père ou de la mère.
N'est-ce pas là encore, en toute évidence, un ré- sultât que théoriquement préjuge le bon sens? Cha- cun pressent a priori que deux influences nocives venant à conspirer contre le foetus doivent être plus redoutables qu'une seule. L'une s'ajoute à l'autre.
En second lieu, c'est là un fait qui dérive de rexpérience clinique. Certains,^ cas, d'un ordre tout particulier, démontrent bien que, lorsque Tinfluence d'un géniteur vient s'ajouter à celle de l'autre gé- niteur, les risques de l'hérédité se trouvent accrus.
Tel est, par exemple, ce cas cité par Diday :
Une femme syphilitique se marie avec un homme sain. Elle a de lui plusieurs enfants sains et bien portants. Elle se rapproche alors de l'amant qui, avant son mariage, lui a communiqué la syphilis, devient enceinte, et accouche d'un enfant syphili- tique, qui meurt de syphilis'.
I. V. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Sy- philis, p. 564. — Un second fait semblable se trouve cite par le même auteur à la suite du précédent.
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Autre fait semblable. — • Un de mes clients se marie (malgré moi, bien entendu) dès la première année de sa syphilis. Sa femme, restée indemne, lui donne un enfant sain. — - Puis, quelques mois plus tard, cette femme est contagionnée par son mari, qui continue à présenter des accidents secon- daires et à se traiter aussi négligemment que pos- sible. Elle devient alors enceinte et accouche d'un enfant syphilitique qui ne tarde pas à succomber.
Ainsi, dans ces deux cas, de par la seule influence syphilitique soit paternelle, soit maternelle, enfants naissant indemnes ; — et dans l'un et l'autre, de par l'influence combinée des deux géniteurs, enfants entachés de syphilis.
Ces deux observations ne sont-elles pas absolu- ment significatives ?
Donc, l'hérédité syphilitique a d'autant plus de chances pour s'exercer qu'elle dérive des deux con- joints.
Ces conclusions énoncées d'une façon générale, permettez-moi maintenant — la chose en vaut bien la peine — de les élayer de quelques résultats sta- tistiques, de quelques chiffres.
Ces chiffres, je vais les emprunter aux nom- breuses observations que, de vieille date, j'ai accu- mulées sur le sujet.
Dépouillant avec rigueur ces observations, j'ai d'abord tenté d'établir sur des bases numériques les deux points que voici :
PARALLÈLE DES TROIS HÉRÉDITÉS.
89
1" Quelle est, pour les trois hérédités syphili- tiques (hérédité paternelle, hérédité maternelle, hérédité mixte), la proportion des cas dans lesquels chacune d'elles s'est montrée irio/fensive ou nocive ?
2° Quelle est, de même, la proportion des cas dans lesquels chacune d'elles a été mortelle.
Puis, cela fait, j'ai établi par le calcul, pour cha- cune des trois hérédités susdites, ce qu'on peut appeler son indice de nocivité et son indice de MORTALITÉ, c'est-à-dire la proportion relative des cas dans lesquels chacune d'elles a été ou nocive ou mortelle.
Or, voici ce à quoi j'ai abouti, sur un total de plus de 5oo cas :
Hérédité paternelle (exclusive) . Hérédité maternelle (exclusive). Hérédité mixte
INDICE DE NOCIVITÉ.
37 %
84 %
92 %
INDICE DE MORTALITÉ.
28 0/^ 60 "/°
68,5 0/0
C'est-à-dire (du moins d'après les faits qui se sont présentés à moi) que :
L'hérédité paternelle s'est montrée nocive en 37 cas sur 100;
L'hérédité maternelle, en 84 cas sur 100 ;
L'hérédité mixte, en 92 cas sur 100.
C'est-à-dire, de même, que ces trois hérédités se sont traduites par une mortalité de :
28 pour 100 pour l'hérédité paternelle;
no L HEHEDITE SYPHILITIQUE.
60 pour 100 pour l'iiérédité maternelle; 68,5 pour 100 pour l'hérédité mixte'.
D'où il suit, en conséquence :
i" Que, des trois modes possibles de l'hérédité syphilitique, le mode paternel {c^est-k-dire l'hérédité exclusive du père) est celui qui tout à la fois s'exerce le moins souvent et se traduit par la mor- talité moindre ;
2° Que le mode maternel est au contraire infi- niment plus dangereux, puisque, d'une part, il s'exerce deux fois plus souvent que le mode pater-
I. Une jeune et laborieuse étudiante, Mlle Hélène Krikus, a fait, relativement à ce sujet, le dépouillement de tous les cas de même ordre qui ont été observés dans mon service (Clinique delà Faculté) depuis une dizaine d'années.
Sur un total de 5oo observations, elle a abouti aux résultats sui- vants, que l'on trouvera signalés en détail dans sa thèse inaugurale [Mortalité des enfants hérédo-syphilitiques. Thèses de Pai-is, 1890) :
Proportion de mortalité infantile dérivant de la syphilis
paternelle 480/0
Proportion de mortalité infantile dérivant de l'hérédité
mixte 78 0/0
Ces deux chiffres, on le remarquera, sont notablement supé- lieurs aux miens (28 et 69 0/0), empruntés, je le répète, à la clientèle de ville.
Mais cette différence, c'est-à-dire cet excès de mortalité infantile dans le public qui peuple nos hôpitaux, n'est qu'un résultat auquel on devait s'attendre. Ce résultat, nul doute qu'il ne dérive d'un ensemble de conditions défavorables qu'on observe à l'hôpital bien plus qu'en Aille, à savoir : Insuffisance ou même absence de traite- ment, hygiène défectueuse, unions plus précoces, privations, alcoolisme, débauche, voire débauche professionnelle pour cer- taines femmes, etc., etc.
J'avais prévu et prédit ce résultat, que le dépouillement de nos observations a conlunié.
PARALLELE DES TROIS HEREDITES.
9»
nel (84!!>37 >C *-i), et que, d'autre part, il comporte un indice de mortalité plus que double (60 ^ 28 >C 2).
L'hérédité de la mère est donc (peut-on dire approximativement) deux fois plus fréquente et deux fois plus meurtrière que celle du père'.
3" Que l'hérédité mixte est celle qui atteint le maximum^ l'apogée, tout à la fois comme indice de nocivité et comme indice de mortalité.
C'est elle qui fait le plus de victimes et qui en tue le plus.
Notons encore au passage un dernier point très digne d'attention. C'est que, comme indice de no-
I. Il ne faut pas qu'il y ait méprise ici sur deux choses absolu- ment différentes, à savoir : La fréquence absolue suivant laquelle telle ou tel'c des deux hérédités, paternelle ou maternelle, peut s'exercer; — - et la proportion relative pour laquelle chacune d'elles s'exerce dans \u\ nombre de cas donné.
Ce sont là, bien manifestement, deux points de vue absolument distincts, n'ayant rien de commun ; et, non moins évidemment, c'est le second seul qui se trouve en cause dans la discussion actuelle,
La syphilis étant infiniment plus fréquente chez l'homme que chez la femme, il suit de là en toute nécessité que l'hérédité pater- nelle a infiniment plus d'occasions de s'exercer que l'hérédité mater- nelle. Donc, l'hérédité paternelle, absolument, est bien plus com- mune en pratique que l'hérédité maternelle.
Mais la proportion se trouve renversée lorsqu'on met en parallèle deux nombres égaux de cas où telle ou telle de ces deux hérédités peut réagir sur le fœtus et l'enfant. On voit alors l'hérédité mater- nelle devenir prépondérante ; on la voit, d'une part, s'exercer deux fois plus fréquemment que l'hérédité paternelle ( :: 84 : 3^ ), et, d'autre part, être deux fois plus meurtrière (: : 60 : 28).
Je le répète, gardons-nous de confondre (ce qu'on fait quelque- fois dans le langage courant) la proportion de fréquence absolue cl de fréquence relative des deux hérédités masculine et féminine.
qa L HEREDITE SYPHILITIQUE.
civité et de mortalité, l'hérédité mixte est bien plus voisine de l'hérédité maternelle que celle-ci ne l'est de l'hérédité paternelle. Elle se rapproche de l'hé- rédité maternelle, tandis qu'elle est énormément distante de l'hérédité paternelle. Voyez les chifïVes.
Or, cela ne veut-il pas dire que, des deux fac- teurs qui collaborent à l'hérédité mixte, c'est le fac- teur maternel qui confère à cette dernière son élé- ment principal et prédominant de nocivité ? Cela ne veut-il pas dire, plus simplement, que, dans un mé- nage à deux géniteurs syphilitiques, dans ce qu'on peut appeler le couple syphilitique, c'est de l'in- fluence maternelle, c'est de la mère que dérivent les plus grands dangers pour l'enfant ?
De là, comme corollaires et comme applications pratiques, deux enseignements majeurs, essentiels, à savoir :
1° Que, dans un ménage syphilitique, c'est la femme qu'il faut surtout traiter (sans préjudice du mari, bien entendu), qu'il faut traiter avec assi- duité, avec persévérance, avec acharnement, oserai- je dire. Or, telle est précisément l'indication qui se trouve le moins réalisée e7i pratique. L'expérience, en effet, apprend ceci, que, dans un ménage syphi- litique, c'est toujours la femme, à savoir la future mère, qui est le moins traitée ; c'est toujours la femme (et cela pour des raisons dont je vous ai parlé ailleurs ^ et que vous devinez de reste) dont le trai-
I. Un fait peut être posé en axiome, tant il ressort de l'expé- rience pratique: C'est que plus une femme est honnête, c^ est-à-dire de
PARALLÈLE DES THOIS HÉRÉDITÉS. q3
lement reste négligé, incomplet, tronqué, au total insuffisant.
2° Et, en second lieu, çi^ une femme syphilitique en état de grossesse doit toujours être traitée, et traitée d'autant plus rigoureusement, d'autant plus scrupuleusement, que le salut de son enfant peut être à ce prix. Or, l'époque n'est pas encore bien loin de nous où le principe même du traitement de la femme syphilitique en état de grossesse était con- testé, récusé; et de nos jours même (j'en pourrais citer des preuves) il n'est pas rare que le traitement de la femme syphilitique enceinte ne donne pas les résultats qu'il devrait produire, qu'il est apte à pro- duire, uniquement par suite de la timidité, de la réserve peureuse avec laquelle il est institué.
condition régulière, plus elle a de chances pour être mal traitée de la syphilis. Voyez, par exemple, ce qui arrive aux femmes mariées qui reçoi- vent la syphilis de leur mari. C'est presque invariablement la même histoire qu'où retrouve plus tard dans leurs antécédents, histoire qui se reproduit à chaque instant dans mes notes. Au début de leur mal, ces femmes ont toujours été traitées quelque peu (réserve encore faite pour certaines qui, grâce à l'imbécillité ou au sauvage égoisme de leurs maris, ne l'ont pas été du tout). Elles ont été « blanchies», passez-moi l'expression vulgaire, mais consacrée. Puis, au delà, on s'est hâté de renoncer à un traitement qui aurait pu éveiller les soupçons et devenir compromettant pour le mari. Le plus tôt pos- sible on a congédié le médecin, et les choses en sont restées là. Or, qu'advient-il eu pareille occurrence ? C'est que la syphilis, bien entendu, ne perd pas ses droits sur ces malheureuses femmes, en l'honneur de leur qualité de femmes mariées, de femmes honnêtes, et que cinq ans, dix ans, vingt ans plus tard, se produisent sur elles des symptômes tertiaires plus ou moins sérieux, quelquefois graves, Voire mortels.
C'est là un point que j'ai longuement traité dans mes leçons sur Syphilis et mariage., en produisant de nombreux documents à l'appui. (Voir ouvrage cité, a'édit., p. 284 et suiv.)
q4 l'hérédité syphilitique.
Je me borne pour l'instant à vous signaler au passage ces deux enseignements, sur lesquels j'au- rai plus tard à revenir en détail.
IX
MODIFICATEURS DE l'iNFLUEKCE HÉRÉDO-SYPHILITIQUE.
Ce parallèle établi entre les trois ordres d'héré- dité syphilitique, relativement aux dangers que comporte chacun d'eux, un autre point — et celui- ci d'une importance capitale en l'espèce — va main- tenant réclamer toute notre attention. C'est l'étude des conditions qui peuvent modifier l'influence hérédo-syphilitique , et cela dans un sens ou dans un autre, c'est-à-dire qui peuvent ou bien exaspé- rer cette influence, ou bien l'atténuer, l'amoindrir, parfois même l'éteindre absolument.
Pour nous, praticiens, voilà par excellence un sujet digne d'étude et fécond en applications ; aussi ne craindrai-je pas d'entrer dans tous les dévelop- pements qu'il exige.
Bien que nous ne l'ayons pas spécifié jusqu'à pré- sent, un fait a dû ressortir implicitement pour vous de ce qui précède, à savoir : Que l'hérédité syphili- tique, quelle qu'en soit la provenance, n'a rien de fatal, rien d'obligatoire en soi.
Et, en effet, l'hérédité syphilitique n'est rigou-
MODIFICATEURS DE L INFLUENCE HEREDO-SYPHILITIQUE. Ç).)
reusement fatale dans aucune de ses conditions possibles de provenance. Ainsi :
1° Elle n'est pas fatale, d'abord, alors qu'elle pro- cède du père. Cela, nous le savons de reste, dès maintenant, par toute une série de cas relatés dans ce qui précède. Au passage, ajoutons à ces cas une observation assez piquante due à M. Langlebert.
Un mari syphilitique eut de sa femme, infectée par lui, deux enfants syphilitiques, et, d'une maî- tresse, restée indemne, un enfant parfaitement sain, bien que cet enfant ait hérité d'une malformation du pouce propre à la famille paternelle*.
2" L'hérédité syphilitique n'est pas plus fatale alors qu'elle dérive de la mère. On a vu (par excep- tion, il est vrai) des femmes syphilitiques donner le jour à des enfants sains, alors qu'elles étaient en pleine période secondaire. Je me rappelle, pour ma part, le cas d'une de mes malades qui accoucha d'un enfant des mieux portants, alors qu'elle était affectée, au moment même de ses couches, d'une syphilide scléro-gommeuse.
3° L'hérédité syphilitique n'est même pas fatale de la part du couple syphilitique, ainsi que vous le savez déjà par plusieurs exemples précités.
4° Enfin, nous verrons par ce qui va suivre qu'elle a pu quelquefois ne pas s'exercer dans les condi- tions rationnellement les plus défavorables, c'est-à- dire alors que tout semblait réuni pour que le risque
I. Nouveau diction, de méd. et de chir. pratiques, art. Syphilis t. XXXIV, p. 685.
96 l'hérédité syphilitique.
héréditaire encouru par l'enfant fût en quelque sorte inéluctable. Ce qui justifie cette boutade spiri- tuelle de M. Diday d'après laquelle, « si le premier caractère d'une maladie héréditairement transmis- sible est de se transmettre, le second est de pou- voir ne pas se transmettre. »
Or, s'il en est ainsi, il faut, en toute évidence, qu'il y ait des raisons à ces éventualités contradic- toires ; il faut qu'en tels cas une raison quelconque fasse que l'hérédité spécifique s'exerce, et qu'en tels autres une raison opposée fasse que cette héré- dité ne s'exerce pas. Il faut que tantôt il y ait des conditions qui mettent en éveil l'influence hérédi- taire de la syphilis, comme il faut que tantôt il y en ait d'ordre inverse qui suspendent et annihilent cette influence. Cela est forcé, cela s'impose.
Or, est-il besoin de dire que, ces conditions, nous aurions tout intérêt à les connaître, intérêt scienti- fique, intérêt doctrinal, intérêt pratique?
Quelles sont-elles donc, quelles peuvent- elles être ? C'est là ce qu'il nous incombe de rechercher actuellement.
Déclarer, comme préambule de cette étude, que nous sommes loin de connaître toutes les condi- tions qui peuvent, dans un sens ou dans un autre, influer sur l'hérédité syphilitique, serait un aveu presque superflu. Mais, enfin, si nous ne les con- naissons pas toutes, ilen est au moins quelques-unes (et ce ne sont pas heureusement les moins impor-
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. CjJ
tantes) sur lesquelles nous sommes d'ores et déjà absolument fixés. C'est de celles-là que je vous par- lerai tout d'abord, me réservant de vous exposer plus tard le bilan de ce que nous ignorons encore.
X
INFLUENCE EXERCÉE PAR LE TEMPS.
Une condition toute-puissante pour modifier l'in- fluence héréditaire de la syphilis, c'est à coup sûr l'âge même de la maladie.
Nul doute, nulle contestation possible à ce sujet. C'est un fait remarc|ué de vieille date et consigné d'une façon positive par divers auteurs, que l'in- fluence héréditaire de la syphilis subit, avec le temps, une décroissance progressive.
Interrogez sur ce point n'importe quel médecin ayant quelque peu d'expérience de la question , et vous obtiendrez invariablement la réponse que voici : « La syphilis jeune est ou peut être terrible comme conséquences héréditaires ; tandis que la syphilis plus âgée se montre bien moins redou- table à ce même point de vue. Très positivement, la maladie s'épuise à mesure qu'elle vieillit, et perd peu à peu de sa puissance de transmission hérédi- taire. )) Quelques médecins ont même soutenu l'opi- nion qu'il n'est plus d'hérédité possible à la période tertiaire.
FouRNiER. — V Hérédité syphilitique. n
98 l'hérédité syphilitique.
Aussi bien, d'une façon générale, sommes-nous autorisés à dire que le temps use, atténue, amoin- drit et finit même par annihiler la puissance de transmission au fœtus de la syphilis des parents. Et, en effet, des témoignages multiples témoignent en ce sens, comme vous allez le voir.
D'abord, je pourrais vous citer un certain nombre de cas démontrant que le temps (et le temps seul, indépendamment du traitement) peut corriger et éteindre l'influence liérédo-syphilitique. Exemple :
Trois de mes clients se sont mariés en état de sy- philis véritablement non traitée, c'est-à-dire avec une syphilis pour laquelle ils n'avaient fait qu'un traitement presque insignifiant (d'un à quatre mois). Eh bien, tous les trois ont eu une série d'enfants sains; mais pourquoi? Sans aucun doute, parce qu'ils s'étaient mariés longtemps après le début de leur syphilis, à savoir 5, 10 et 11 ans.
En second lieu, certains cas d'un ordre particu- lier témoignent mieux encore de l'atténuation pro- gressive exercée parle temps sur l'influence hérédo- syplîilitique , en nous montrant cette influence mitigée par degrés au fur et à mesure d'une série de grossesses. Ce sont les cas où l'on a vu ceci : l'influence héréditaire commencer par tuer les enfants, qui alors sont expulsés par avortement dès les premiers mois de la grossesse ; — puis, les tuer encore, mais plus tard, si bien que la grossesse se prolonge à un terme plus ou moins avancé \ — puis, les laisser naître à terme, mais à l'état de pe-
INFLUENCE EXERCEE PAU LE TEMPS. C)g
tits êtres chëtifs et étiques, d'avortons manifeste- ment destinés à une mort prochaine; — puis, leur permettre de naître plus valides, syphilitiques à la vérité, mais eapahles de résister à leur syphilis ; — et, finalement, s'éteindre, s'annihiler, au point que des grossesses ultérieures ne donnaient plus naissance qu'à des enfants vivants et indemnes de syphilis.
Ordonnancé de la sorte, un tel tableau semble fait à plaisir pour la démonstration que je poursuis, tant il s'y accommode à souhait. Eh bien, loin d'être de la fantaisie, comme on pourrait vraiment le croire, c'est là de la réalité clinique ; et même les cas de cet ordre ne sont pas rares. En voici deux exemples, au hasard.
Un de mes clients se marie quatre ans après avoir contracté la syphilis. Il a la chance de ne pas con- tagionner sa femme, que j'ai examinée à maintes reprises et toujours trouvée saine. Or, cette femme est devenue enceinte quatre fois, et ses quatre gros- sesses se sont terminées comme il suit :
La première, par une fausse couche à trois mois;
La deuxième, par une fausse couche à six mois;
La troisième, par la naissance à terme d'un en- fant syphilitique, qui mourut de syphilis à trois mois ;
La quatrième, par la naissance à terme d'un en- fant sain, qui était sain encore huit ans plus tard, au moment où je perdis de vue cette famille.
Mieux encore. Mon éminent collègue T. Hut- clîinson a relaté le fait suivant :
Un médecin contracte la syphilis et s'en traite
100 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
pendant six mois environ. Se croyant guéri, il se marie trois à quatre ans plus tard. Sa femme reste saine et devient enceinte onze fois. Or, suivez bien les résultats fournis par ces diverses grossesses, et voyez s'ils ne s'accordent pas avec le tableau que je viens de vous tracer relativement à l'atténuation progressive de l'hérédité syphilitique sous l'in- fluence du temps :
Première grossesse; — enfant mort-né.
Deuxième grossesse; — enfant mort-né.
Troisième grossesse ; — enfant né vivant, mais syphilitique, et mourant avec les symptômes clas- siques de la syphilis héréditaire.
Quatrième grossesse; — enfant né vivant, mais syphilitique, et mourant, lui aussi, de la syphilis.
Enfin, sept dernières grossesses amenant des en- tants qui, bien que syphilitiques, résistent tous à la maladie et survivent tous.
Jusqu'ici les faits précités n'ont trait qu'à Théré- dité paternelle. Mais on observe également pour l'hérédité mixte, sous l'influence du temps, la même décroissance graduelle de la réaction syphilitique des parents sur les enfants. A cet égard, les faits les plus probants ont été cités par divers auteurs, notamment par Bertin, Diday, Bazin, Roger, Hut- chinson, Kassowitz, et bien d'autres encore.
Exemples :
Une observation de Bertin est relative à un ménage syphilitique où six grossesses se terminèrent ainsi :
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. 101
Première grossesse. — Avortementà six mois. — Enfant mort-né.
Deuxième grossesse. — Avortement à sept mois. — Enfant vivant huit heures.
Troisième grossesse. — Accouchement à sept mois et demi. — Enfant mort.
Quatrième grossesse. — Accouchement à terme. — Enfant sy- philitique, survivant dix-huit jours.
Cinquième grossesse. — Accouchement à terme. — Enfant sy- philitique, survivant six semaines.
Sixième grossesse, — Accouchement à terme. — Enfant syphi- litique, survivant*.
Un autre fait, dû à M. le D"" Mireur, est encore plus démonstratif. En Yoici le résumé .
Un jeune maçon contracte la syphilis et se marie au début même de la période secondaire. Il ne manque pas (cela devait être) de contagionner aus- sitôt sa jeune femme. — Surviennent nuit gros- sesses dont les résultats (notez bien ceci) se dérou- lent suivant V impulsion propre, naturelle^ de la maladie, les deux époux restant vierges de tout traitement. C'est donc là, prise sur le fait et pure de tout mélange, l'histoire naturelle de la maladie.
Or, ces huit grossesses se terminent de la façon que voici :
Première grossesse ; — avortement au cinquième mois;
Deuxième grossesse ; — avortement au septième mois;
Troisième grossesse; — accouchement avant terme, d'un enfant mort\
Quatrième et cinquième grossesses; — enfants
I. Berlin, Traité de la maladie vinérienne chez les nouveau-nés, Paris, 1810, p. 142.
102 L HEHEDITE SYPHILITIQUE.
vivants^ mais syphilitiques^ mourant le premier à trente jours, le second à quarante-cinq jours ;
Sixième, septième et huitième grossesses; — en- fants vivants et sains.
De tels faits, en vérité, sont assez éloquents par eux-mêmes pour nous dispenser de tout commen- taire.
Donc, vous le voyez, le temps use, atténue l'in- fluence hérédo-syphilitique, et peut même finir par l'annuler. Voilà un point définitivement acquise
XI
Maintenant, ce point admis en principe, il nous faut essayer de sortir des généralités, serrer la ques- tion de plus près, et déterminer d'une façon autre- ment précise, si cela toutefois nous est possible, l'influence du temps sur l'hérédité syphilitique.
Eh bien, de l'étude et de la comparaison d'un
I. Je trouve des résultats de tous points semblables énoucés dans une intéressante monographie due au D' H. Legrand et basée sur les statistiques de la maternité de Saint-Louis (service de mon collègue et ami le D' Porak).
«... Le père étant seul syphilitique peut transmettre la syphilis au produit de conception. Il j est d'autant plus exposé qu'il se trouve plus près du début de la syphilis au moment où a lieu la conception.
«... La mère syphilitique avant la grossesse a d'autant plus de chances de mettre au monde un enfant sain que sa syphilis est plus ancienne. » — {La syphilis cause (Tavortement, Thèses de Paris, 1S89.)
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. 1 O.J
grand nombre d'observations, soit empruntées à des sommées étrangères, soit personnelles, comme aussi de diverses statistiques que j'ai essayé d'insti- tuer, il m'a paru ressortir un certain nombre d'en- seignements, j'oserais presque dire de lois^ si ce terme ne vous semblait pas trop ambitieux. En tout cas, voici ce que m'a paru démontrer mon enquête :
I. — C'est, d'abord, que I'influeivce hérédo-
SyPHILITIQUE, OUI s'eXERCE d'uNE FAÇON TRÈS IINÉ- GALE AUX DIVERS AGES DE LA MALADIE, COMPORTE UIV MAXIMUM ET UN MAXIMUM CONSIDÉRABLE, ÉNORME, QUI CORRESPOND ENVIRON AUX TROIS PREMIÈRES AN- NEXES DE l'infection ;
II. — C'est, en second lieu, que le maximum de CE maximum, si je puis ainsi parler, répond au plus
JEUNE AGE DE LA DIATHÈSE, c'eST- A-DIRE, APPROXI- MATIVEMENT, A SA PREMIÈRE ANNÉE ;
m. — C'est, enfin, qii'AU delà des trois pre- mières ANNÉES DE LA MALADIE, LA DÉCROISSANCE DE l'influence héréditaire se CONTINUE ENCORE LES ANNÉES suivantes, MAIS d'uNE FAÇON INFINIMENT MOINS MARQUÉE.
Comparons, en effet, la mortalité de provenance lîérédo-syphilitique aux divers âges de la maladie (aux divers âges de la maladie chez les parents, bien entendu).
io4 l'hérédité syphilitique.
Dans l'une de mes statistiques relative à l'hëré- ditë mixte et reposant sur un total de 289 gros- sesses, je vois que cette mortalité infantile s'est traduite par les chiffres suivants :
Première année * 88
Deuxième année 34
Troisième année 17
Quatrième année 7
Cinquième année 5
Sixième année 6
Septième année 5
Huitième année . 5
Neuvième année 1
Dixième année i
Onzième année 2
Douzième année 3
Dix-huitième année i
Vingtième année i
Total 176
Or, analysons ces chiffres ; que trouvons-nous ? Ceci :
T° Que, sur 1^6 morts d'enfants par liérédo- syplîilis, 189 sont comprises dans les trois pre- mières années de l'infection des parents.
Ainsi, la mortalité des trois premières années est presque égale aux 4/5 de la mortalité totale.
2° Que la mortalité de la première année com- prend à elle seule exactement la moitié de la mor- talité totale.
3° Qu'une décroissance des plus marquées s'ac- centue ensuite, et cela de la façon suivante :
I. A dater de V infection maternelle dans le mariage.
INFLUENCE EXERCEE PAU LE TEMPS. Io5
La mortalité de la deuxième année étant à peu près le tiers de celle de la première;
Celle de la troisième étant la moitié de celle de la deuxième;
Celle de la quatrième n'égalant pas même la moitié de celle de la précédente.
4° Qu'en revanche, enfin, la décroissance de la mortalité, comparée d'une année à l'autre, se ralentit pour les années suivantes.
Maintenant, voulez- vous qu'au lieu de l'hérédité mixte nous prenions l'hérédité maternelle ou pater- nelle pour y étudier de même l'influence du temps ? Nous y retrouverons les mêmes résultats, à savoir : toujours cette même loi de décroissance de par le temps. A preuve :
Sur 2 1 cas de mort par hérédité syphilitique ma- ternelle, 1 2 se sont produits dans les trois premières années de l'infection de la mère; — et, sur ces 12 cas, 6 dans \d^ première année.
Aussi bien, sans insister davantage sur une dé- monstration que j'ai le droit de croire acquise, et sans descendre à d'autres détails d'importance moindre, revenons encore et insistons comme il convient sur les deux faits essentiels, capitaux et éminemment féconds en conséquences pratiques, qui dérivent des diverses considérations précé- dentes, à savoir :
1° Qu'il est, dans la syphilis, une période parti-
io6 l'hérédité syphilitique.
culièrement dangereuse au point de vue des risques héréditaires; — et que cette période, qui s'étend environ aux trois premières années de la maladie, correspond assez exactement à ce qu'on a appelé \di période secondaire ;
2" Que, dans cette période, à son tour, il est une époque où l'influence héréditaire atteint un fasti- gium^ un summum de nocivité, si je puis ainsi dire, au point de devenir littéralement maligne, perni- cieuse pour l'emhryon ; — et que cette époque répond, approximativement, à la première année de l'infection.
A cette époque, au cours de ceiie première année ^ la transmission héréditaire de la maladie s'exerce d'une façon pour ainsi dire fatale, et s'exerce sous sa modalité la plus grave, à savoir : l'inaptitude à la vie, la mort à brève échéance. C'est, à propre- ment parler. Vannée terrible. — Qu'un dernier témoignage achève de vous convaincre à cet égard.
J'ai vu, de mes yeux vu, ceci :
90 femmes, contagionnées par leurs maris, sont devenues enceintes dans la première année de leur syphilis. Or, à quels résultats ont abouti ces 90 grossesses? Vous n'oseriez le soupçonner.
5o se sont terminées par avortement ou expulsion d'enfants mort-nés ;
38 par naissance d'enfants qui se sont rapidement éteints ;
Et 2 par naissance d'enfants qui ont survécu.
Au total, donc, comme dénouement, 88 morts
INFLUENCE EXEUCEE PAR LE TEMPS. 1 OJ
sur 90 g/^ossesscs ! C'est à n'y pas croire, n'est-ce pas? Et telle est cependant la stricte, l'absolue vérité.
Et notez que ce résultat épouvantable, cette héca- tombe, oserai-je dire, je l'ai observée non pas ici ou à Lourcine, c'est-à-dire sur des femmes de situa- tion sociale généralement misérable, dans un mi- lieu où des conditions diverses de mauvaise hy- giène, de privations, de surmenage, d'ignorance ou d'indifférence, d'alcoolisme, de débauche, con- stituent autant de prédispositions à l'avortement; — mais bien en ville^ dans ma clientèle, dans des familles bourgeoises, sur des femmes jeunes, bien portantes pour la plupart, jouissant de tous les bénéfices de l'aisance, de l'éducation, de l'hy- giène, etc.
Quelle leçon (soit dit en passant) à l'adresse de ces sujets indifférents, ignorants ou cyniques, qui ne craignent pas de se porter candidats au mariage avec une syphilis jeune encore et féconde en dangers de cet ordre !
XII
Une dernière question se présente à notre exa- men :
Existe-t-il, pour la syphilis, un âge limite, si je puis ainsi parler, où l'influence héréditaire cesse de s'exercer? — Et, si cet âge existe, quel est-il ?
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Confessons tout d'abord l'impuissance où nous sommes de répondre à cette double question d'une façon catégorique et précise.
Existe-t-il, pour la syphilis, un âge au delà du- quel elle n'est plus susceptible d'exercer son action héréditaire? Probablement oui; je serais même tenté de dire : assurément oui; mais je n'ai pas les moyens de le démontrer. A fortiori^ donc, manque- rai-je de documents pour déterminer quel est l'âge au delà duquel la syphilis n'est plus qu'inoffensive héréditairement .
Deux points, toutefois, dans cette question, res- sortent de l'observation clinique et doivent être spécifiés, en attendant mieux.
I. — Le premier, c'est qu'après un certain nombre d'années, alors que la syphilis commence à vieillir, à plus forte raison quand elle est déjà vieille, son influence ' héréditaire est certainement atténuée d'une façon considérable, et, sinon éteinte sùre- mient, au moins extrêmement amoindrie, presque réduite à néant.
Si bien qu'à pareilles échéances les risques de transmission héréditaire sont pour ainsi dire nuls.
De cela témoigne l'observation courante. Soit en ville, soit à l'hôpital, il est absolument commun de rencontrer des sujets qui nous racontent ceci :
« Ils ont eu la syphilis et ne s'en sont traités que légèrement, peu de temps, au total d'une façon notoirement insuffisante. — Puis ils se sont mariés
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS.
109
au delà, cinq, six, dix, douze ans plus tard. — Et ils ont eu deux, trois, quatre enfants et plus, tous parfaitement sains. »
Dans ces conditions, l'intégrité, l'immunité des enfants ne peut être logiquement attribuée qu'à ce fait, à savoir : que les individus en question ne sont devenus pères qu'à une époque déjà avancée de leur syphilis, à une époque où leur faculté de trans- mettre héréditairement l'infection était déjà ou singulièrement atténuée ou éteinte. C'est donc le temps seul en l'espèce qui a été la sauvegarde des enfants.
Impossible, je le répète, d'interpréter ces faits d'une façon autre que par Vaction corrective du temps.
Voilà donc un premier point qui paraît peu sus- ceptible de contradictions.
II. — Un second point n'est pas moins certain, bien malheureusement. C'est que, même dans ses étapes avancées, la syphilis peut conserver encore son levain de transmission héréditaire.
Il existe très positivement ce qu'on peut appeler une hérédité syphilitique à long ternie. Pas de contradiction possible à ce fait, que la syphilis, même sur ses vieux jours, reste encore susceptible d'exercer son néfaste pouvoir de transmission héré- ditaire.
Et cela est si vrai que je ne m'explique guère, en vérité, comment a pu s'accréditer cette hérésie
L HEBEDITE SYPHILITIQUE.
(à coup sûr très répandue) d'après laquelle il n'y aurait pas d'hérédité dans la période tertiaire.
ce La si/philis tertiaire, a-t-on dit sous forme d'axiome, n est pas héréditaire. »
Eh hien, ce prétendu axiome n'est qu'une hérésie, et une hérésie funeste, par les conséquences pra- tiques qu'on en pourrait déduire.
Sans doute, ce n'est pas là une de ces erreurs dont il faille prendre littéralement le contre-pied pour être dans la réalité des choses. Ce n'est là qu'une erreur par généralisation excessive d'un ordre de faits absolument authentiques. Mais enfin ce n'en est pas moins l'aflirmation d'un fait con- traire à la vérité clinique.
Oui, certes (et nous venons de le prouver), la puissance de transmission héréditaire de la syphilis s'amoindrit, s'atténue dans les étapes avancées de la diathèse, au point de se trouver parfois réduite à néant. Mais s'éteint-elle, s'annihile-t-elle absolu- ment au delà de ce terme de trois années dans lequel on a coutume (à tort ou à raison, je ne veux pas discuter ce point pour l'instant) de renfermer ce qu'on appelle la période secondaire de la syphilis? L'espérer est un leurre; le croire, c'est méconnaître les enseignements de la clinique. Et de cela voici la preuve.
La preuve, c'est qu'il existe dans la science quan- tité de cas où l'on a vu l'influence hérédo-syphili- tique s'exercer, et cela suivant tel ou tel de ses modes habituels, non pas seulement à courte échéance
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS.
après la période secondaire, mais plus tard, bien plus tard, c'est-à-dire, par exemple, vers la sixième, a huitième, la dixième, la douzième année de l'in- fection;— voire plus tard, vers la quinzième année; — peut-être même plus tard encore, vers la dix- septième, la dix-huitième et jusqu'à la vingtième année, limite extrême qui, jusqu'à ce jour, ne paraît pas avoir été dépassée.
Trois ordres de faits vont légitimer cette pro- position, qui, bien malheureusement, introduit un point noir dans le pronostic spécial que nous étu- dions.
I. — Je trouve d'abord toute une série de cas tels que les suivants, pour établir l'authen- ticité de l'hérédité syphilitique en pleine étape ter- tiaire.
Un de mes malades contracte la syphilis en 1873, et se marie cinq ans plus tard. — Sa femme, restée saine, lui donne, en 1879, un premier enfant qui arrive mort-né; — puis, en i883 (c'est-à-dire à échéance de dix ans après l'infection du mari), un second enfant, lequel est affecté, à l'âge de quelques semaines, d'accidents non douteux de syphilis héré- ditaire.
Un cas relaté par Hutchinson se résume en ceci : Un sujet syphilitique se marie et communique la syphilis à sa femme. — De ce couple infecté naît d'abord un enfant qui arrive mort. — Puis, neuf ans plus tard, survient une seconde grossesse qui se
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
termine par la naissance d'un enfant syphilitique'.
Thompson Forster acitéle cas suivant : Un homme contracte la syphilis en 1862 et se marie en i865, après ne s'être qu'insuffisamment traité. Surviennent, en i865 et 1866, deux grossesses qui se terminent ainsi : la première par avortement, et la seconde par naissance à sept mois d'un enfant qui présente des manifestations multiples de syphilis et meurt au cours de la dixième semaine. — DcAenu veuf, cet homme contracte un second mariage en mai 1872 (c'est-à-dire dix ans après le début de sa syphilis). Sa femme devient enceinte en juin ; bientôt elle est atteinte de roséole, maigrit, s'affaiblit, et avorte en novembre d'un enfant syphilitique ^
M. le D"" Barthélémy, médecin de Saint-Lazare, a présenté récemment à la Réunion clinique des médecins de r hôpital Saint-Louis un petit enfant de quatre mois, couvert d'indiscutables syphilides (syphilides papuleuses, papulo-croùteuses , qiiel- ques-unes érosives, d'autres hypertrophiques). Or, cet enfant était né d'un père et d'une mère qui, quatorze ans auparavant, avaient contracté la syphi-
1. Syplnlitlc diseases of tlie eye, p. 190.
Le même auteui- a relaté un cas tout semblable, où l'hérédité s'est exercée après Jiuit ans d'infection.
J'aurais encore à produire ici un certain nombre de cas ana- logues, soit personnels, soit empruntés à diverses sources. Mais je crois amplement suffisantes à la démonstration que je poursuis les citations qui précèdent ou qui vont suivre.
2. The Lançet, 9 août i884, P- ^33. — Nous retrouverons plus loin, à propos de l'influence du traitement, la suite de cette intéressante observation.
INFLUENCE EXERCÉE PAR LE TEMPS. Il3
lis et ne s'en étaient que très insuffisamment trai- tés'.
Ici même, il y a quelques mois, vous avez eu sous les yeux un exemple du même genre. Un petit enfant de quatre mois nous est amené dans un état lamentable : sypliilides papuleuses généralisées , mais plus spécialement confluentes au visage, autour ■des lèvres et des paupières ; — syphilides ulcéreuses péri-anales ; — coryza intense ^ — double sarcocèle spécifique, etc. — Eh bien, cet enfant était le fils d'un père et d'une mère syphilitiques l'un et l'autre depuis quinze ans^ ainsi qu'en témoignaient des commémoratifs très précis et très authentiques. C'était de plus le cinquième enfant de ce ménage, où quatre grossesses antérieures avaient déjà amené quatre enfants qui tous ont succombé en très bas âge, l'un d'eux manifestement atteint d'accidents spécifiques héréditaires.
Enfin, un cas que je vous ai présenté récemment paraît être un exemple d'une hérédité paternelle s'exerçant dans la dix-huitième année d'une sy- philis. Je vous le rappelle en deux mots.
Une petite fille de deux mois nous est présentée par sa mère pour les accidents les plus classiques
I. V. la relation complète de ce cas intéressant dans les Annales de dermatologie et de sjphiligraphie, t. X, 1889, p. 191. — On y remar- quera que, comme d'usage, des cinq enfants qui avaient pré- cédé, dans ce ménage, la naissance du petit malade en question, quatre étaient morts (à 7 ans, à ^^mois, à 9 mois, à aS jours.). — Quant au cinquième, il était, dit M. Barthélémy, manifestement syphilitique dé par une kératite interstitielle, l'arrêt de la crois-, sance, l'habitus général, etc. ,
FouRNiER. — L'Hérédité syphilitique. 8
ii4 l'hérédité syphilitique.
d'une syphilis héréditaire, lesquels ont débuté, nous dit-on, vers la troisième semaine. Nous la trouvons affectée des diverses lésions suivantes : syphilides généralisées, de forme érythémato-papu- leuse; — syphilides papuleuses et papulo-croû- teuses autour de la bouche ; — plaques muqueuses sur la face interne de la lèvre inférieure; — déve- loppement assez considérable du foie ; — étiole- ment, etc
Nous interrogeons longuement et minutieuse- ment la mère ; nous l'examinons à diverses reprises, et cela sans découvrir le moindre antécédent sus- pect, le plus léger stigmate de syphilis.
Nous mandons le père à l'hôpital, et le trou- vons en pleine éruption tertiaire, à savoir : sy- philide tuberculo-ulcéreuse d'une des commis- sures labiales ; syphilides tuberculeuses de la lèvre inférieure ; syphilides tuberculeuses sèches sur les deux pieds, notamment à la face plantaire, etc... Or, chez cet homme, qui rendait parfaitement compte de ses antécédents et de l'ensemble de sa maladie, la syphilis remontait à dix-huit ans (août 1870), époque à laquelle il avait été affecté d'un ce chancre induré » de la verge, reconnu et traité comme tel dans un hôpital militaire.
Une seule objection (erreur faite sur l'origine />«- ternetle de l'hérédité) pourrait être opposée à cette observation, comme du reste aux précédentes, et je n'aurais certes rien à y répondre, comme bien vous pensez. Mais que prouverait-on en infligeant
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. 113
à telle ou telle de ces observations une déchéance tirée d'un désaveu de paternité? Pour être valable, un argument de cet ordre devrait s'appliquer à toutes indistinctement. Tout au contraire et ré- serves faites, bien entendu, pour chaque cas par- ticulier, il me semble que ces diverses observa- tions (si surprenantes d'ailleurs qu'elles puissent paraître au premier abord) se présentent avec un caractère indéniable d'authenticité, et cela parce qu'elles attestent toutes un même fait, qu'elles se prêtent un mutuel appui et se servent, pour ainsi dire, de répondants réciproques.
On dira peut-être que d'un faisceau d'erreurs ne jaillit pas une vérité. Sans doute, répondrai-je ; mais il n'est guère vraisemblable, on en convien- dra, que tous les observateurs précités (auxquels d'ailleurs on pourrait en adjoindre nombre d'autres) aient eu la malchance invariable de tomber sur des faits oi^i l'hérédité syphilitique se trouvait viciée par l'intervention d'une syphilis extra-conjugale. D'autant que, si un tel soupçon leur avait paru légitime, ils ne se seraient vraiment pas donné la peine de recueillir et de publier les faits en question.
II. — Un second ordre de cas n'est pas moins démonstratif; et celui-ci, je le signale à toute votre attention, parce qu'il est relatif à des situations que l'on observe journellement en pratique et dont il importe que le médecin sache dépister le secret.
Je veux parler de ces cas où un homme, affecté
Il6 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
d'une syphilis déj à plus ou moins ancienne (remon- tant, je suppose, à six, huit, dix ans et plus), se marie, indemne en apparence, et n'ahoutit pas moins à procréer un ou plusieurs enfants qui sont tous frappés de mort avant même leur nais- sance et expulsés par avortement. Cet homme se croit et semble avoir toutes raisons pour se croire sûr de lui; il puise sa sécurité dans ce double fait que, d'une part, il ne présente de vieille date rien d'apparent en tant que syphilis, et que, d'autre part, sa syphilis, en raison même de l'époque lon- guement distante où elle remonte, lui semble abso- lument périmée. Il n'y songe même plus; et néan- moins tous les enfants qu'il engendre, sa femme même restant saine, succombent invariablement et sans cause appréciable, à quelques mois de vie intra- utérine.
Quelques exemples, — entre plus d'une centaine que j'aurais à citer; — car, je vous le répète et ne crains pas de vous le répéter, les cas de cet ordre sont des plus fréquents, jusqu'à dépasser même comme fréquence tout ce qu'on pourrait croire. Un jeune homme se marie sept ans après avoir contracté la syphilis. — Sa femme reste saine. — Trois grossesses surviennent, au cours des trois années suivantes, et toutes se terminent, sans cause occasionnelle, par avortement.
Un de mes clients s'est marié alors que sa syphilis remontait à neuf ans. — Sa femme est restée saine. — Trois grossesses se sont produites alors que la
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS.
117
syphilis du mari remontait à dix, onze et douze ans ; et toutes trois ont abouti à des avortements, l'une à six mois et demi, les deux autres à huit mois.
Même cas. — Mariage après neuf ans de syphilis. — Quatre fausses couches les quatre années sui- vantes, à quatre mois et demi, cinq mois et demi, six et sept mois.
Dernier exemple. Un jeune médecin contracte la syphilis en 1868 et ne s'en traite que pendant cinq mois. N'ayant plus d'accidents et se croyant ce hors d'affaire », il se marie. — Sa femme, scrupu- leusement observée par lui, ne présente jamais aucun phénomène suspect. — Notre confrère devient père trois fois, en 1876, 1878 et 1880, c'est-à-dire alors que sa syphilis remontait à huit, dix et douze ans, et trois fois, sans la moindre cause, sa femme avorte.
Or, soit dit au passage, dans ce cas (comme sans nul doute aussi dans les précédents), la syphilis du mari était bien certainement la cause de toutes ces fausses couches ; car la démonstration en fut faite en l'espèce. Navré de cette série d'accidents, dont il commençait à soupçonner la véritable raison, notre confrère, sur le conseil d'un ami, se soumit à un traitement prolongé. Or, au cours des trois années suivantes, sa femme devint deux fois en- ceinte, et donna naissance à deux enfants vivants et sains.
En résumé, dans tous ces faits, l'influence hérédo-
Ii8 l'hérédité syphilitique.
syphilitique s'est exercée sous l'un des modes qui lui sont le plus habituels, et s'est exercée à des échéances lointaines, à des échéances de huit, neuf, dix, onze et douze ans après l'infection paternelle. Est-ce assez dire que l'hérédité syphilitique ne se limite pas, comme on l'a prétendu, à la période se- condaire de la syphilis, et que, bien au contraire, elle est susceptible de s'étendre au delà, de se proroger jusqu'en pleine période tertiaire, voire à des termes éloignés de cette période tertiaire ? Est-ce assez dire aussi que, même à si lointaine échéance, elle est encore capable de se traduire par l'un de ses modes les plus nocifs, les plus malins, à savoir : l'inapti- tude à la vie, la mort de l'enfant?
III. — Vient enfin un troisième ordre de cas plus décisifs encore, et ceux-ci vraiment incontes- tables.
C'est Tordre des cas où l'action héréditaire de la syphilis s'exerce en série, si je puis ainsi parler, c'est-à-dire continue à s'exercer d'une façon ininter- rompue sur toute une série de grossesses. Ici, en effet, cette action trouve dans sa continuité même un irréfutable témoignage de son authenticité.
Il est bien certain, en effet, que la cause qui tue un fœtus à dix ans de date, je suppose, est la même que celle qui a tué antérieurement d'autres fœtus, puisque c'est par des effets semblables, se produi- sant suivant le même mode, que l'une et l'autre se traduisent. Or, les cas de ce genre ne sont malheu-
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. II9
reusement que trop nombreux. En voici quelques exemples :
Une dame de ma clientèle a été infectée par son mari. Elle est devenue enceinte dix fois. Or, de ces dix grossesses, les neuf premières se sont terminée? par des avortements survenant du deuxième au septième mois, et la dernière a abouti à la nais- sance d'un enfant syphilitique que j'ai vu affecté de gommes multiples. Et cependant, lors de la concept tion de ce dernier enfant, la syphilis de la mère remontait à seize ans\
Grefberg a relaté l'observation d'une femme syphilitique qui eut onze grossesses terminées par la naissance de onze enfants mort-nés, bien que cette femme eût cessé d'avoir des manifestations spécifiques et que son mari, paraît-il, eût échappé à la contagion. Quatorze ans après l'infection, elle accouchait encore d'un enfant syphilitique.
Bœck dit avoir vu une mère mettre au monde, en une longue série d'années, douze enfants syphi- litiques.
Un cas déjà cité de Behrend est relatif à une femme syphilitique qui, infectée par son mari, eut, en l'espace de quinze ans, onze grossesses qui se terminèrent de la façon suivante : les sept pre- mières par avortement, et les quatre dernières par
I. Je viens d'observer tout récemment uu fait de même ordre, s,ç, résumant en ceci : Femme infectée par son mari, et n'ayant jamais subi qu'un traitement presque insignifiant. — Neuf gros- sesses en l'espace de dix ans ; neuf avortements.
loo L HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE.
la naissance à terme d'enfants vivants, sur trois desquels on constata des accidents non douteux de syphilis héréditaire.
Un autre fait à peu près semblal3le a été observé dans le service de mon ami le D"" Porak. Il se résume en ceci : Une jeune femme contracte la syphilis à dix-sept ans. Devenue veuve, elle se remarie à vingt ans avec un homme sain. Onze grossesses surviennent en quinze ans et se terminent ainsi : les dix premières par avortement; et la onzième par naissance à terme d'un enfant qui, dès le second jour, présente une éruption papuleuse, puis du pem- phigus, et meurt rapidement ^
Enfin, je dois à l'un de mes collègues, leD''Ribe- mont-Dessaignes, professeur agrégé de la Faculté, accoucheur de l'hôpital Beaujon, l'observation d'une femme qui reçut la syphilis de son mari dès les pre- miers temps de son mariage, qui ne s'en traita pas, il est vrai, et dont dix-neuf grossesses ont abouti à dix-neuf morts! Les cinq premières grossesses se sont terminées par expulsion d'enfants morts et macérés, et les quatorze suivantes ont donné des enfants qui sont tous morts entre un et six mois.
De tous ces faits, pris au hasard parmi une foule d'autres, résulte donc, en parfaite évidence, l'au- thenticité de ce que l'on peut appeler Vhérédité syphilitique à long terme.
I. V. Le Grand, La syphilis cause cracorleme/it, Thèses de Paris,. 1889, p. 17.
INFLUENCE EXEUCEE PAU LE TEMPS. 12 1
Aussi bien une conclusion s'impose; c'est que, contrairement à ce qu'ont avancé quelques méde- cins, contrairement à ce qui est d'opinion presque accréditée, l'hérédité syphilitique peut s'exercer (et s'exercer dans tous ses modes) en pleine période tertiaire, voire à une étape avancée de la période tertiaire.
Après avoir déduit cette proposition générale de l'ensemble des faits qui précèdent, il resterait main- tenant à préciser certains points de la question, qui, pour être secondaires, n'en sont pas moins des plus intéressants. Il resterait, par exemple, à fixer par des chiffres quel est le degré de fréquence de cette hérédité à long- terme ; — quelle en est la fré- quence relative aux diverses étapes de la période tertiaire ; — jusqu'à quel terme elle peut se pro- longer, etc., etc. Mais la science, je vous en ai déjà avertis, est bien loin d'être faite sur ces divers points ; on peut même presque dire qu'ici elle est toute à faire. Eh bien, j'ai eu l'ambition de l'ébau- cher tout au moins sur quelques-uns de ces points, en interrogeant les observations dont je dispose, et voici ce que je puis fournir comme résultats de mon observation personnelle.
Premier point. — Recherchons, d'abord, quel degré de fréquence semble affecter l'hérédité sy- philitique à long terme (en fixant, si vous le voulez bien, la sixième année de la maladie comme li-
122 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
mite inférieure de ce que nous appellerons l'hé- rédité syphilitique à long terme).
Eh bien, je trouve que, sur les 502 cas qui composent ma statistique, 60 appartiennent à cette hérédité syphilitique à long terme ; — c'est-à-dire que, sur 562 cas, 60 fois l'hérédité syphilitique s'est exercée à partir de la sixième année de l'in- fection.
60 sur 562, cela équivaut à peu près à la pro- portion de 10 pour 100; — proportion qui, pour n'être pas très élevée, est bien loin cependant de rester négligeable.
Ainsi, une fois sur dix environ, des méfaits ou des désastres d'hérédité syphilitique, tels que l'a- vortement ou la mort de l'enfant à brève échéance, peuvent dériver de syphilis datant de six ans et plus. Quel résultat ! Et ce résultat n'est-il pas de nature à nous montrer quel compte nous devons tenir en pratique de l'hérédité syphilitique à long terme, hérédité dont on a fait cependant si bon marché jusqu'à ce jour?
Second point : Â quelles échéances et sous quelles formes s'' exerce cette hérédité syphili- tique à long terme?
Ici, je vais être forcé de citer toute une série de chiffres. Voici, disposé sous forme de tableau, ce que m'a fourni le dépouillement des 60 observa- tions en question.
INFLUENCE EXEUCEE PAR LE TEMPS.
23
|
INFECTION |
MORTALITÉ PAR |
|||
|
ANNÉES. |
SYPHILITIQUE DE l'enfant. |
WORTEMENTS. |
AFFECTIONS PARA- SYPHILITIQUES. |
TOTAUX |
|
6° |
8 |
12 |
4 |
24 |
|
T |
3 |
7 |
9 |
19 |
|
8^ |
I |
7 |
2 |
10 |
|
9° |
I |
8 |
2 |
I I |
|
IO° |
2 |
4 |
I |
7 |
|
1 1" |
I |
4 |
» |
5 |
|
12° |
» |
3 |
I |
4 |
|
i3° |
)) |
3 |
I |
4 |
|
i4° |
» |
3 |
I |
3 |
|
i5° |
2 |
» |
3 |
|
|
iG° |
I |
» |
2 |
|
|
17' |
» |
)) |
I |
|
|
18° |
» |
» |
1) |
|
|
19' |
I |
1 |
2 |
Il suffit de jeter les yeux sur cette statistique pour en voir ressortir les deux résultats suivants, à savoir :
1° Que l'hérédité syphilitique à long terme se traduit par les trois modalités usuelles de l'hérédité plus précoce, c'est-à-dire : i" transm^ission de la syphilis en l'espèce; — 2° mort et expulsion pré- maturée du fœtus; — 3° mort par affections di- verses dérivant de l'infection fœtale.
2° Qu'elle ohéit à la loi générale que nous avons qualifiée du nom de loi de décroissance par le temps. Et, en effet, on la voit au delà (comme en deçà) de la sixième année s'atténuer, s'amoindrir, à mesure qiie vieillit la diatlièse.
124 l'hérédité syi»iiilitique.
Ainsi, de la 6" à la lo" année, par exemple, nous relevons: i5 cas de transmission de syphilis et 38 avortements; — tandis que de la 1 1'' à la 19" an- née nous ne trouvons plus que 5 cas de transmis- sion de syphilis et i5 avortements.
C'est-à-dire, en langage vulgaire, que l'hérédité syphilitique, encore notablement active de la ô*" à la 10® année, ne s'exerce plus au delà que d'une façon ; relativement rare et de plus en plus rare, voire jusqu'à devenir tout à fait exceptionnelle, voire jusqu à s'éteindre absolument, au moins suivant toute vraisemblance.
Dernier point : Quel est le terme le plus éloigné où l'on ait vu, sûrement vu, s'exercer l'influence héréditaire de la syphilis?
Quant à moi, d'après un certain nombre de faits qui se sont présentés à mon observation, je déclare être convaincu que ladite influence peut atteindre des échéances de douze à quinze ans au delà de l'époque de l'infection première.
Passé ce terme, je ne voudrais rien affirmer, bien que quelques cas (comme l'un de ceux que je vous citais tout à l'heure) me donnent lieu de croire que la transmission héréditaire de la syphilis est susceptible de dépasser cette échéance. Mais ces cas ne sont encore ni assez nombreux ni empreints d'une authenticité suffisante pour que je ne préfère réserver toute conclusion.
J'ajouterai seulement que, d'après certains faits
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TEMPS. I 2D
à coup sûr exceptionnels, quelques médecins se sont crus autorisés à reculer davantage encore le terme ultime où l'hérédité syphilitique ahdique- rait ses droits.
Ainsi, Campbell a relaté un cas où la transmis- sion héréditaire se serait produite (de par hérédité paternelle) après dix-sept ans'.
Weil a cité une observation d'après laquelle l'in- fluence nocive de la mère se serait prolongée jus- qu'à la vingtième année".
De même, Hénoch parle d'une femme qui, vingt ans après avoir contracté la syphilis, eut encore un enfant infecté^.
Et nous verrons même plus tard qu'on a donné à l'hérédité syphilitique une bien autre extension, puisque, pour quelques-uns de nos confrères, elle pourrait se transmettre jusqu'à la deuxième généra- tion, c'est-à-dire rendre le petit-fils tributaire de la syphilis de l'aïeul.
Mais, que l'hérédité syphilitique à long terme puisse atteindre exceptionnellement des échéances plus ou m^oins reculées, plus ou moins extraor- dinaires, cela n'est plus qu'affaire de curiosité et question d'importance secondaire. L'essentiel, le
1. Dictionn. encyclopédique, art. Syphilis, p. 563.
2. Y. Biaise, Etat actuel de la science sur ^hérédité syphilitiaue , Thèses d'agrégation, i883, p. 70.
3. V. G. HomoUe, Nouveau Dictionn. de méd. et de chir. pra- tiques, art. Syphilis^ p. 690.
12.6 l'hékédité syphilitique.
point capital en l'espèce, le résultat vraiment pratique à déduire de l'exposé qui précède, c'est que l'influence hérédo-syphilitique n'est pas ce qu'on la supposait autrefois, ce que nombre de médecins la jugent encore aujourd'hui, à savoir une influence exclusivement limitée aux premières années de la maladie, limitée à ce qu'on appelle la période secondaire ; — c'est que cette influence s'exerce aussi, bien qu'avec une fréquence incom- parablement moindre (nous venons de l'établir), au cours de la période tertiaire; — c'est même qu'elle peut se proroger en certains cas jusqu'à des étapes avancées de cette période.
Eh bien, ce fait, il faut l'enregistrer soigneuse- ment dans nos souvenirs de praticiens, parce qu'il comporte des applications pratiques dont l'impor- tance ne saurait dès ce moment vous échapper. Il contient pour nous, en effet, un enseignement ma- jeur; il nous démontre ceci :
Qnil confient, au point de vue héréditaire^ de se méfier de la syphilis rnênie âgée^ même ter- tiaire ; — qu'en conséquence il ne faut pas lâcher la bride (passez-moi l'expression) et permettre le mariage à un sujet syphilitique sur la seule consi- dération de Vâge de sa sypliilis et pour cette seule raison qu'il aura doublé le cap des premières an- nées de la diathèse; — mais que, tout au con- traire, pour lui accorder accès au mariage, pour lui délivrer patente nette, il est d'autres conditions à requérir de lui, d'autres garanties à exiger de lui,
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TRAITEMENT. l 2.y
notamment celle dont nous allons parler actuelle- ment et qui constitue un correctif, un neutralisant par excellence de l'hérédité syphilitique, à savoir : un traitement spécifique prolongé, une dépuration thérapeutique suffisante.
XIII
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TRAITEMENT.
Nous venons de voir l'influence hérédo-syphili- tique modifiée par le temps. Étudions-la actuelle- ment en relation avec un modificateur d'un autre ordre, à savoir le traitement.
Il arrive bien souvent que l'on passe sans éton- nement à côté des choses les plus extraordinaires, et cela pour la seule raison que les dites choses, au lieu d'être rares, sont de manifestation journalière. Eh bien, c'est le cas ici. Extraordinaire, puis-je dire, est l'action exercée par le traitement spéci- fique sur l'hérédité spécifique, qu'il atténue, qu'il corrige, qu'il maîtrise même parfois absolument. Et cette action, nous n'en sommes plus surpris, nous ne l'admirons plus comme nous devrions l'ad- mirer, par ce fait seul qu'elle se prodigue, qu'elle s'impose à nous d'une façon habituelle. Mais que dis-je î Certains de nos confrères (peu nombreux, à la vérité) ont trouvé moyen de ne pas la voir,
L HEREDITE SYPHILITIQUE.
de la tenir pour suspecte, voire de la renier, de la récuser !
Je le répète, très positivement le mercure réalise en l'espèce des résultats qui tiennent du prodige; — et de plus, ces prodiges, il ne les produit pas pour une fois, de temps à autre, par exception; il les accomplit tout au contraire journellement, usuellement, c'est pour lui le fait habituel, presque la règle.
Aussi bien n'est-ce pas par centaines, mais par milliers, qu'on pourrait relever dans la science des observations calquées sur le schéma que voici :
Mari syphilitique ou ménage syphilitique. — Plu- sieurs grossesses aboutissant soit à des fausses couches, soit à la naissance d'enfants étiolés, ché- tifs, affectés ou non de symptômes syphilitiques, mais ne tardant pas à mourir. — A ce moment, in- tervention du traitement spécifique. — Et, dès lors, grossesses ultérieures donnant des enfants à terme, vivants et sains.
Cela dit d'une façon générale, venons maintenant aux détails, pour faire la preuve, point par point, de l'importante proposition qui précède.
Tout d'abord, nous allons voir cette action cor- rective, neutralisante, suspensive, du traitement spécifique sur l'hérédité syphilitique s'exercer dans toutes les conditions possibles de provenance héré- ditaire, c'est-à-dire quelle que soit la source d'où dérive cette hérédité, que celle-ci provienne ou du
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TRAITEMENT. I29
père ou de la mère ou des deux géeileurs à la fois- — De cela voici la preuve.
1, — Pour l'hérédité provenant du inari^ la chose est notoire. Rappelez-vous ces cas si probants dont je vous ai entretenus déjà et qui se résument en ceci :
Une femme saine avorte plusieurs fois à inter- valles rapprochés et sans cause appréciable. On s'inquiète, on cherche le pourc|uoi de ces fausses couches singulières, et l'on n'en trouve comme explication possible que la syphilis du miiri. — On traite alors le mari. — Puis, une nouvtù e grossesse se produit, plusieurs nouvelles grossesses se pro- duisent, qui amènent toutes à terme des enfants bien portants, — Quoi de plus demonslralif?
Je vous ai déjà cité plusieurs cas de ce genre. Laissez-moi, au passage, vous relater encore les deux suivants.
Une femme saine, mariée à un homme syphili- tique, devient enceinte cinq fois et^a^orte cinq fois, ^ans qu'on puisse trouver une raison :isses
couches. On finit cependant par sojà-ci , uomme cause possible de ces avortemenis, a la syphilis du mari, qui est soumis alors à un traitement spéci- fique. — Une sixième et une sepïièine g. ossesse surviennent au delà, et amènent des enfants à terme, bien vivants et indemnes.
\}m jeune homme se marie deux ans après avoir --^îontracté une syphilis pour laquelle il ne s';est iiaité
FouExiER. — iJHciL'dllé sy^yliilitique. 9
i3o l'hérédité syphilitique
que deux mois . — Sa femme reste saine et devient enceinte six fois. — Six fois elle avorte. — Alors ^ sur le conseil de deux de mes éminents collègues, le mari et la femme (bien que saine) sont soumis au traitement mixte (mercure et iodure) pendant une année. — Un an plus tard, nouvelle grossesse, laquelle amène un enfant vivant et sain.
II. — De même, en second lieu, le traitement corrige \ hérédité maternelle.
Exemples :
Une femme syphilitique se marie avec un homme sain. Elle accouche, en i885, d'un enfant syphili- tique, qui meurt à trois mois. — Elle redevient en- ceinte en 1886. — Je la traite ënergiquement pen- dant tout le cours de sa grossesse. Résultat : nais- sance à terme d'un enfant sain.
Une femme reçoit la syphilis d'un premier mari et ne se traite que d'une façon éphémère. — Devenue veuve, elle se remarie à un homme sain et conçoit de cet homme plusieurs enfants qui ou bien meu- rent in utero ^ ou bien naissent avec la syphilis. — Elle se traite alors d'une façon sérieuse et assidue. — Après le traitement, trois enfants sains.
III. — Enfin une même influence est exercée par le traitement sur \ hérédité mixte.
Très communément, en pratique, on rencontre des faits se résumant en ceci :
Deux époux syphilitiques commencent par en-
INFLUENCE EXERCEE PAU LE TRAITEMENT. l3l
gendrer un ou plusieurs enfants qui ou ])ien meu- rent avant de naître, ou bien naissent syphilitiques. — Ils se traitent; et alors les enfants qu'ils procréent ultérieurement viennent à terme vivants et sains.
Les observations de cet ordre sont tellement fré- quentes, voire si banales, qu'il me suffira, à titre de spécimen, de vous citer la suivante :
Un jeune homme, syphilitique depuis trois ans, se marie. — Sa femme, devenue enceinte presque immédiatement après le mariage, ne tarde pas à présenter des manifestations spécifiques non dou- teuses, très probablement dues à une infection conceptionnelle. — Elle accouche d'un enfant sy- philitique, lequel présente les accidents les plus graves et n'échappe à la mort que par miracle, grâce à un traitement des plus énergiques. — Alors, le jeune ménage se soumet à un traitement intense, très méthodiquement suivi. — Surviennent au delà deux grossesses qui amènent deux enfants sains'.
Donc, vous le voyez, quelle qu'en soit la prove- nance, l'hérédité syphilitique est profondément modifiée, corrigée, voire annihilée par le traitement spécifique.
I. Relatons ici la fia de l'observation précitée de Th. Forster (page 112).
A la suite des malheui'S précédemment relatés, les deux époux furent soumis, en 1876, à un traitement mixte par le mercure et l'iodure de potassium. — En 1877, nouvelle grossesse, amenant un enfant bien portant. — En 1880, nouvelle grossesse également heureuse.
ï32 l'hérédité syphilitique.
Mais ce n'est pas tout. Et deux autres considéra- tions viennent encore compléter la démonstration que je poursuis.
1° Il est des cas néfastes (vous le savez de reste par ce qui précède) où l'influence héréditaire syphi- litique s'étend d'une façon inexorable à toute urle longue série de grossesses, à quatre, six, huit, dix grossesses, si ce n'est môme parfois à un plus grand nombre. Or, on a vu une série ininterrompue de tels désastres être coupée net par l'intervention du traitement.
Exemple, dû à Notta :
Une femme contracte la syphilis. — Consécuti- vement, elle fait huit fausses couches, sans pouvoir amener un enfant à terme. — Alors elle se soumet à un traitement mercuriel prolongé. — Devenue enceinte de nouveau, elle accouche d'un enfant à terme, bien portant « lequel, dit l'auteur de l'obser- vation, est actuellement âgé de cinq ans et n'a jamais présenté la moindre trace de syphilis ^ «
Ainsi, huit grossesses malheureuses, tant que le traitement n'intervient pas. — Puis, le traitement intervient, et tout aussitôt une grossesse se termine d'une façon heureuse. Que voudriez-vous de plus probant ?
2" Eh bien, il est quelque chose de plus probant encore, que voici :
I. Notta, mémoire cité.
INFLUENCE EXERCEE PAU LE TRAITEMENT.
l33
C'est qu'une influence provisoire, même simple- ment provisoire , du traitement spécifique a pu qnelquelbis conjurer provisoirement les efïets de l'hérédité syphilitique.
Ainsi, il peut suffire, pour qu'un enfant naisse sain de parents syphilitiques, qu'au moment de la procréation les parents se trouvent soumis à l'in- fluence du mercure.
Quelque singulier, quelque paradoxal, quelque inexplicable surtout que paraisse un tel fait au premier abord, il n'en est pas moins authentique. Il ressort en toute évidence d'un certain nombre d'observations bien étudiées et semblant irrépro- chables.
Tel est, par exemple, le cas suivant, relaté par Turhmann (de Scliœnfeld) et qu'on peut qualifier en l'espèce d'observation modèle :
Une femme syphilitique commence par avoir sept grossesses, pendant lesquelles elle ne se traite pas. Sept fois elle accouche d'enfants syphilitiques qui ne tardent pas à mourir.
Devenue enceinte une huitième et une neuvième fois, elle se traite au cours de ces deux grossesses. Chaque fois elle accouche d'un enfioit sain, bien portant.
Survient une dixième grossesse. Cette fois, cette femme, se considérant comme guérie, ne se traite pas. Elle accouche d'un enfant syphilitiqiœ., qui meurt à six mois.
Finalement, une onzième grossesse, dans le cours
i34 l'hérédité syphilitique.
de laquelle intervient le traitement, amène un en- fant sain^.
Ce fait aurait été inventé de toutes pièces, ima- giné théoriquement pour les besoins de la cause, qu'en vérité il ne pourrait être plus démons- tratif.
Toutes ces preuves , enfin , vont trouver une confirmation nouvelle dans les résultats fournis par les statistiques.
J'ai tenu à me rendre compte, au point de vue qui nous occupe, des résultats qui pouvaient dériver de mes observations personnelles, observations, je le répète encore, recueillies au jour le jour, sui- vant le hasard de la pratique et sans esprit préconçu. Donc, faisant un choix de toutes celles où des ren- seignements précis sur le traitement se trouvaient consignés, je les ai divisées en quatre groupes, sui- vant la durée du traitement, à savoir : premier groupe, où le traitement a été nul\ — second groupe, où il a été court, c'est-à-dire ne dépassant pas quelques mois ; — troisième groupe, où il a été moijen^ c'est-à-dire s'élevant à plus d'une année; —
1. Voir Gazette médicale, 24 j^in i843.
2. Pour ma part, j'ai dans mes notes quelques observations de même genre, relatives à des parents syphilitiques qui ont engendré tour à tour des enfants sains à l'époque où ils s'étaient préalable- ment soumis à un traitement spécifique, et des enfants syphiliti- ques durant une période où ils ne se traitaient plus.
Le même fait a été également remarqué par Kassow^itz, par Taylor et d'autres médecins. — V. Sypliills et mariage, 1 1° édit., p. au.
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TRAITEMENT.
i35
quatrième groupe, enfin, où il a été plus ou moins prolongé. — Puis, ce travail préparatoire accompli, j'ai cherché quelle a été, pour chacun de ces quatre groupes, la mortalité infantile dérivant de l'héré- dité syphilitique.
Or, voici mes résultats :
Traitement nul . . . Traitement cotirt . . Traitement moyen. . Traitement prolongé.
MORTALITE PAR HÉRÉDITÉ PATERNELLE.
59°/o 36 0/,
3 »/o
MORTALITE PAR HÉRÉDITÉ MIXTE.
83 % 85 o/„ 36 0/^
Ces chiffres ne sont-ils pas absolument signifi- catifs? — Voyez plutôt :
Pour l'hérédité paternelle, par exemple, un trai- tement simplement moyen abaisse la mortalité in- fantile de 59 à 2 1 pour 1 00 ; — puis (résultat en- core bien autrement heureux), un traitement pro- longé la réduit presque à néant, à 3 pour 100.
Mais la démonstration devient plus saisissante encore quand on descend aux détails du parallèle et qu'on examine comparativement les quotients <le la mortalité infantile issue héréditairement des sujets traités et des sujets non traités.
Ce qu'est cette mortalité dans le camp de ceux qui, ayant eu le malheur de contracter la syphilis, ont eu le bon sens de s'en traiter et la patience de
i36 l'hérédité syphilitique.
s'en traiter longuement, les chiffres qui précèdent viennent de l'élal^lir. En pareille condition, elle descend très bas, elle se réduit à une quotité mi- nime (3 pour loo).
En pareille condition, le fait très habituel, la règle, c'est que les enfants arrivent à terme vivants et sains. Quel est celui d'entre nous qui n'en pour- rait témoigner? Quel est celui d'entre nous qui, en consultant ses souvenirs, n'aurait à citer le cas d'un ami, d'un camarade, d'un client, dont la sy- philis traitée est restée inoffensive pour ses en- fants? Le fait est patent, irrécusable, de par sa fré- quence et sa banahté.
Or, voyons comme contre-partie ce qu'est la mortalité hérédo-sv{)liilitique dans le camp des indifférents, des négligents, qui n'ont opposé à la syphilis, pour tout traitement, que l'expectation pure et simple. Dans ces conditions, elle devient formidable, comme vous allez en juger.
Certes, il est très rare de nos jours (fort heureu- sement) de rencontrer des sujets qui, ne s'étant pas traités du tout de leur syphilis, n'ayant absolument rien fait contre elle, n'en ont pas moins eu l'audace de se marier, en dépit des dangers de divers genres qu'ils apportaient avec eux dans le mariage. Cepen- dant, il est des téméraires ou des cynicjues de ce genre. J'en ai trouvé quatorze pour ma part, et voici quel a été le sort de leurs enfants.
Ces quatorze individus, après avoir ou non com- muniqué la syphilis à leur femme, sont devenus
INFLUENCE EXERCEE PAR LE TRAITEMENT. 1 3^
pères quarante -cinq ibis, et ces quarante -cinq grossesses ont al^outi aux résultats suivants :
Enfants survivants (dont 6 aflVctés de syphilis). ... 8 Fausses conclies ou naissances dVnfants mort— nés ... ag Enfants morts |u;a de temps après leur naissance ... 8
Total. ... 45
C'est-à-dire, au total, 87 morts sur 45 grossesses. Quotient de morivdhé : 82 pour 100. Quelle ef- froyable proportion !
Enfin, comme contre-épreuve, voyons encore ce qu'est la mortaliîé infantile dans les cas de syphilis ignorée et par conséquent non traitée (involon- tairement non traitée, mais n'importe en l'espèce).
Ces deux dernières années, il est entré dans nos salles i3 femmes affectées d'accidents tertiaires incontestablement syphilitiques, mais dérivant de syphilis dont ces femmes n'avaient nulle notion, qu'elles ignoraient, et pour lesquelles, donc, elles n'avaient jamais subi le moindre traitement.
Ces i3 femmes sont devenues mères, à elles i3, 59 fois. Or, sur ces 09 enfants, combien leur en reste-t-il aujourd'hui? Dix, pas un de plus! Les^ 49 autres sont morts, et morts soit avant de naître, soit peu de temps après leur naissance.
49 morts sur Sg grossesses, cela fournit une mortalité de 83 pour 100!
Ajoutez que quelques-uns de ces cas, examinés individuellement, ne sont pas moins navrants que
i38 l'héuédité syphilitique.
significatifs en l'espèce, que décisifs par rapport au parallèle que nous poursuivons.
Ainsi, l'une de ces i3 femmes est devenue en- ceinte dix fois. Or, ses neuf premières grossesses se sont terminées par neuf fausses couches, et la dernière par la naissance d'un enfant syphilitique que vous avez vu criblé de gommes.
De même, dans un cas de M. le D'^ LePileur', une femme, affectée elle aussi d'une syphilis ignorée, a eu 1 1 grossesses qui ont abouti à ceci :
I enfant survivant ;
6 fausses couches ;
4 enfants morts (de i jour à 6 semaines).
Au total, donc, lo enfants morts sur ii !
Mais c'en est assez, j'en suis sûr, pour que votre conviction soit faite.
Je m'arrête donc , et me résume en disant :
De quelque côté que l'on envisage la question, que l'on examine l'hérédité paternelle, l'hérédité mater- nelle ou l'hérédité mixte, on aboutit toujours à ceci :
Résultats néfastes et mortalité considérable dans les cas où le traitement spécifique n'est pas intervenu ou n'est intervenu que d'une façon insuffisante.
Et, inversement, atténuation, décroissance, voire extinction de l'influence liérédo-syphilitique, sous l'action bienfaisante du traitement.
Donc , le traitement constitue par excellence
I . Observation iuëdite, qu'a bien voulu me communiquer M. le D"^ Le Pileur.
INFLUENCE COMBINEE DU TEMPS ET DU TRAITEMENT. 1 3^
un correctifs un neutralisant de V influence héré- ditaire de la syphilis.
Cela est surabondamment démontré.
XIY
INFLUENCE COMBINÉE DU TEMPS ET DU TRAITEMENT.
Ainsi donc, voilà deux facteurs — le temps et le traitement — susceptibles de réagir sur la faculté de transmission héréditaire de la syphilis.
Maintenant, avant de rechercher s'il en existe d'autres, précisons tout aussitôt un point qui ne constitue à vrai dire qu'un simple corollaire des données précédentes. Si tel est le mode d'action isolé de chacun des deux facteurs précités, le simple bon sens permet de préjuger que l'association, la combinaison de ces deux facteurs devra agir dans le même sens, voire d'une façon d'autant plus ac- tive qu'ils se prêteront un mutuel appui, qu'ils se renforceront l'un l'autre.
Eh bien, cette légitime induction se trouve de tous points confirmée par la pratique ; si bien même qu'il serait vraiment superflu de nous livrer à une nouvelle enquête sur ce sujet, d'instituer de nou- velles statistiques confirmatives, etc. Ce serait là peine perdue. Il nous suffira donc d'énoncer un résultat qui est de notoriété absolue, qui ressort de l'expérience courante, à savoir :
i4o l'hérédité syphilitique.
Que la meilleure sauvegarde dont nous dispo- sions contre les effets de l' hérédité sypliilitique, c'est r association de ces deux éléments correctifs de la diathèse : le temps et le traitement.
A coup sûr, le minimum des risques héréditaires que comporte la syphilis se rencontre chez les sujets à syphilis ancienne et longuement traitée. Ce mi- nimum peut même, dans ces conditions, être con- sidéré comme presque réduit à néant.
Et, en effet, il est très rare, disons plus encore, il est exceptionnel en pareil cas de voir s'exercer d'une façon ou d'une autre l'influence héréditaire spécifique.
En ce qui concerne, par exemple, l'hérédité paternelle (celle que nous connaissons le mieux, parce que c'est elle précisément que nous avons le plus d'occasions de saisir sur le fait et de juger dans ses œuvres, comme celle aussi que nous avons le plus intérêt à connaître, parce que c'est d'elle que dérivent presque toujours les deux autres), en ce qui concerne, dis-je, l'hérédité paternelle, nous sommes en mesure d'affirmer ceci :
Que (réserve faite pour certains cas absolument exceptionnels) un sujet syphilitique^ qui ne s'est marié que longtemps après le début de sa syphilis et qui^ de plus^ s'est traité méthodiquement^ pa- tiemment et longtemps, ni! est jamais un père dan- gereux pour ses enfants.
Chez lui, la double dépuration produite par le temps et le traitement constitue une garantie presque
INFLUENCE COcMIJINKE DU TEMPS ET DU TRAITEMENT. 141
iibsolument certaine contre les risques héréditaires de la syphilis.
Et cette double dépuration, soyez assurés qu'elle est bien supérieure comme garanties à la dépura- tion isolée Cj[ui peut dériver de l'intervention exclu- sive de l'un de ces deux facteurs, le traitement ou le temps.
D'une part, en effet, le temps, ce grand effaceur de toutes choses, n'eiiace que lentement, n'efface qu'à la longue la tare syphilitique, et il faut beau- coup de patience pour n'attendre que de lui seul la rédemption, l'immunité. N'avons-nous pas vu, dans ce qui précède, la syphilis non traitée proroger par- fois ses méfaits héréditaires jusqu'à la quinzième, la seizième année, si ce n'est môme encore au delà ?
Et, d'autre part, la garantie exclusive du traite- ment, non associée à celle du temps, n'est pas moins sujette à caution. Quel serait le résultat, en tant que prophylaxie héréditaire.^ d'un traitement intensif, mais rapide, dirigé conire la syphilis ? Cela, je l'ignore, car je n'ai pas le droit d'avoir une opinion faite de par les quelques observations dont je dispose à ce sujet, et je n'ai pas envie de tenter l'expérience. Je crois cependant pouvoir dire, sans crainte d'erreur, qu'il ne faudrait accorder à un trai- tement de ce genre qu'une confiance plus que réser- vée, et cela pour deux raisons qui vous sont déjà connues, à savoir :
1° Parce que le traitement peut fort bien ne sus-
i42 l'hérédité syphilitique.
pendre que pour un temps les effets héréditaires de la syphilis, puis les laisser se reproduire au delà; — 2° et, en second lieu, parce que le véritable traitement de la syphilis, l'unique mode de traitement dont nous ayons à attendre contre elle une garantie sérieuse, c'est un traitement d'ordre chronique, une dépura- tion lente, répétée, échelonnée par stades thérapeu- tiques successifs sur une série d'années.
En sorte, donc, que le traitement ou le temps, chacun en particulier et isolément, ne saurait con- férer qu'une sécurité relative contre les risques héréditaires de la maladie ; — tandis qu'une sécu- rité bien autrement sérieuse résulte de leur action combinée, de leur association.
Cela, j'en ai la preuve, et, sur ce point parti- culier, je puis déclarer que « mon siège est fait )). Depuis que j'étudie — et il y a longtemps que j'ai inauguré cette étude — les diverses questions affé- rentes au mariage des syphilitiques, j'ai vu se ma- rier, avec mon consentement médité, plusieurs centaines de mes malades, qui, naturellement, ont eu des enfants, Or, ces enfants, j'ai grande satis- faction à le dire, sont tous nés sains et (en appa- rence au moins) indemnes de toute tare spécifique. Eh bien, cet heureux résultat (auquel je ne connais qu'une ou peut-être deux exceptions jusqu'à ce jour), je le dois, j'en suis certain, à mon programme d'admissibilité au mariage, programme qui repose principalement sur ces deux bases : dépuration par le temps associée à la dépuration par le traitement.
INFLUENCE COMBINÉE DU TEMPS ET DU TRAITEMENT, 1 43
Quant au minimum chronologique de cette double dépuration salutaire, j'ai été amené empiriquement à ne jamais l'abaisser au-dessous de trois à quatre années. Je ne crois pas qu'il soit prudent, qu'il soit permis même, de laisser un sujet syphilitique s'en- gager dans le mariage avant un stade de trois à quatre années, consacrées à un traitement actif de la diatlîèse. Mais, à ce prix, j'estime qu'un syphilitique rentre dans la règle commune et peut être tout à la fois inofFensif comme époux et comme père.
Si bien que, plus je vais, plus la proposition sui- vante pénètre et se fixe en mon esprit à l'état d'axiome :
C'est quaçec du mercure et du temps tout médecin peut faire d'un sujet syphilitique , sauf exceptions particulières et rares, un mari et un père non dangereux.
Et cet axiome consolateur, n'allez pas. Messieurs, je vous en prie, en méconnaître l'importance, la double importance médicale et morale. Médicale- ment, d'abord, il traduit un fait clinique des plus in- téressants, des plus curieux, à savoir : l'épuisement de nocivité d'une grande maladie par deux agents neutralisateurs. Puis, à un tout autre point de vue, il constitue pour le malade un élément de susten- tation morale, de confort moral, d'encouragement, de confiance. Car, s'il est des individus indifférents, éhontés, cyniques, qui ne reculent pas, bien que syphilitiques, à s'engager dans le mariage en dépit
i44 l'hhrkditk syphilitique.
des dangers conjugaux et héréditaires qu'ils y im- portent, il en est d autres (et ceux-ci vraiment dignes de toutes nos sympathies) que la syphilis désole, navre, terrifie, et cela moins encore par la per- spective des accidents personnels auxquels elle les expose que par l'appréhension des risques qu'elle peut créer pour leur future famille, par la crainte du renoncement forcé à ce qui constitue, à un moment donné de la vie, l'aspiration naturelle et commune, c'est-à-dire le mariage, le fover domes- tique et l'enfant. Cela est si vrai que vous entendrez quantité de malades, la presque totalité même de vos malades syphilitiques, vous *dire tristement après quelques visites, lorsqu'une certaine intimité se sera établie de vous à eux : « Alors, docteur, c'est bien fini pour moi, n'est-ce pas ? Je ne pourrai jamais me marier ; si je me mariais, je n'aurais que des enfants chétifs, scrofuleux, racliitiques, pour- ris, etc. ? »
Eh bien, ce ne sera pas, certes, rendre un léger service à ces affligés, à ces découragés, à ces déses- pérés, dirai-je, que de leur rendre espoir et con- fiance en leur répondant ce que, de par la science, vous êtes en droit de leur répondre et ce que j'ex- primais à l'instant, à savoir : « que tout n'est pas perdu pour eux ; — • que la syphilis ne constitue pas un vice rédhibitoire absolu et permanent, une interdiction formelle et pérennelle au mariage ; — que, pour l'instant, à coup sur, ils ne sont pas aptes au mariage ; — mais que l'avenir leur reste, et qu'au
SYPHILIS BÉNIGNES. SYPHILIS GnAVES. 1^6
prix d'un certain stage, utilement consacré à une dépuration nécessaire, ils rentreront dans le droit commun, au double titre d'époux et de père. »
Et cela, je vous le répète encore, je vous l'affirme une dernière fois, vous êtes en droit de le dire à vos malades, parce que, de par l'observation, de par l'expérience, les dangers conjugaux et hérédi- taires de la syphilis peuvent être conjurés par l'action combinée de ces deux grands modificateurs : le temps et le traitement.
XV
SYPHILIS BÉKIGWES. SYPHILIS GRAVES.
Poursuivant l'étude des conditions qui peuvent modifier l'influence liérédo-syphilitique, nous allons rencontrer nombre d'autres questions qui, pour n'avou' pas l'excessive importance des précédentes, n'en sont pas moins très dignes d'intérêt.
Telle, en premier lieu, la suivante :
Existe-t-il un rapport entre la gravité dune syphilis et V intensité de son pouvoir de transmis- sion héréditaire ?
En autres termes et pour préciser, une syphilis grave est-elle particulièrement redoutable quant à ses conséquences héréditaires; — et, inversement, une syphilis légère n'ofïre-t-elle que peu de dan- gers au point de vue de l'hérédité?
FouRNiER. — V Hérédité syphilitique. jo
ï/\6 l'hérédité syphilitique.
EH bien, à la question ainsi posée il n'est, je crois, d'autre réponse à faire que celle-ci : Oui, en quelques cas, il existe un rapport indéniable entre la gravité d'une syphilis comme manifestations in- dividuelles et la gravité de cette même syphilis comme conséquences héréditaires; — mais, pour l'énorme majorité des cas, ce rapport n'existe pas.
Je m'explique.
Certes, oui, je commence par le dire, il est des syphilis graves pour l'individu qui sont également graves pour les enfants. J'ai constaté ce fait d'une façon précise dans quelques-unes de mes observa- tions, telles que les suivantes :
Un jeune homme contracte en 1870 une syphilis qui devient immédiatement sérieuse : syphilides papulo-ecthymateuses d'emblée, comme entrée en scène de la période secondaire; — sarcocèle pré- coce; — syphilides buccales extraordinairement confluentes et à répétitions incessantes ; — puis, glossite scléreuse; — puis, exostoses tibiales; — puis, récidive du sarcocèle, etc.
Marié à une femme qui est restée saine, cet homme en a eu deux enfants.
Le premier, né en 1878 (c'est-à-dire alors que la syphilis paternelle datait de huit ans), n'a pas pré- senté, à la vérité, d'accidents syphilitiques et a sur- vécu; mais c'est le plus affreux rachitique que j'aie vu de ma vie. Les membres inférieurs forment chacun un véritable demi-cercle ; la tête est énorme ;
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le corps est gros, trapu, ramassé. L'enfant serait bouffon, s'il ne faisait pitié*.
Le second, né deux ans plus tard, alors donc que la syphilis paternelle remontait à dix ans (remar- quez cette échéance au passage, comme nouvel exemple d'hérédité à long terme), le second enfant, dis-je, est né syphilitique, et il est mort de syphilis. — Il a été, sans exagération, criblé de gommes, gommes cutanées, gommes du tissu cellulaire, pé- riostoses gommeuses, etc. ; — ses membres supé- rieurs et inférieurs étaient absolument déformés par d'énormes intumescences osseuses; — son état général était lamentable. Traité de la façon la plus rigoureuse, il a survécu deux ans, mais pour s'éteindre dans le marasme.
Second fait. — Un jeune homme contracte, en 1868, une syphilis qui reste d'abord légère^ mais qui, dix ans plus tard, prend une forme grave et s'accuse par une série d'accidents que voici^ sommairement : en 1878; lésions gommeuses de la gorge; — en 1882, phthisie syphilitique, simulant à un haut degré, comme symptômes généraux non moins que comme signes locaux, la phthisie bacillaire; — de 84 à 86, syphilides tuberculeuses. — Sa femme, demeurée absolument indemne, devient deux fois enceinte, en i883 et i885, c'est-à-dire alors que la syphilis de son mari datait de quinze et de dix-
I. J'ai appris indirectement qu'il avait succombé « en état d'é- puisement, de marasme » ; mais je ne saurais autrement préciser la cause de sa mort.
i48 l'hérédité syphilitique.
sept ans, et les deux fois, sans la moindre cause, elle avorte à quelques mois de grossesse. Le placenta est soigneusement examiné à chaque fausse couche, et chaque fois un de nos confrères, savant histolo- giste, affirme y découvrir des « lésions spécifiques ».
Troisième cas. — Un de mes clients contracte, en 1878, une syphilis qui, d'emblée, revêt une forme grave : chancre phagédénique, bientôt suivi de l'explosion de syphilides ulcératives profuses. — Deux ans plus tard, cet homme revient raie trouver avec des accidents plus sérieux encore : giossite scléro-gommeuse, s'accompagnant d'une tuméfac- tion énorme de la langue ; — ulcérations gommeuses du palais; — syphilides ulcéreuses du front, du nez, de la plante du pied, etc. — Je le traite^ et il guérit.
Dès l'année suivante, et bien malgré moi, il se marie. Or, dans l'espace de deux années, sa jeune femme, d'ailleurs indemne et bien portante, a fait trois fausses couches qu'aucune raison autre que la syphilis de son mari n'a paru motiver.
Ces faits et d'autres analogues, qu'il serait superflu de citer, établissent donc, d'une façon irrécusable, une relation possible entre la gravité des manifesta- tions individuelles d'une syphilis et la gravité des conséquences héréditaires de cette même syphilis.
Mais cette relation est bien loin d'être forcée, voire d'être habitLielle.
De cela, maintenant, je vais établir la preuve.
SYPHILIS BENIGNES. — SYPHILIS GRAVES. 149
[. — Dabord, il n'est pas rare qu'une syphilis grave n'offre pas de gravité comme conséquences héréditaires.
Exemple le cas suivant, dû au D'' Notta et se résumant en ceci :
Un homme contracte la syphilis en i856. Il est pris en 1837 d'accidents cérébraux. Voilà donc, par excellence, une syphilis grave, puisqu'elle se tra- duit, dès la seconde année, par la modalité d'acci- dents les plus sérieux que comporte la maladie. Eh bien, qu'arrive-t-il? A peine remis de ses accidents cérébraux, cet homme se marie, et il devient père à bref délai d'un enfant parfaitement sain.
J'ai dans mes notes plusieurs cas de ce genre. A la vérité, je dois reconnaître que, dans tous ces cas, un traitement énergique et proportionné à la gravite même de la forme morbide a toujours été mis en œuvre. On pourrait donc arguer de là — et non sans quelque raison — que c'est au traitement qu'a été due l'absence de transmission héréditaire. Tou- jours est-il que, même dans ces conditions, c'est- à-dire même avec l'appoint secourable du traite- ment, il n'est pas peu surprenant de voir la nais- sance d'enfants absolument sains succéder — et cela souvent à courte échéance — aux manifestations les plus graves que comporte la syphilis, telles que phagédénisme, syphilides malignes, encéphalopa- thies, etc.
C'est ainsi qu'un de mes clients — comme dans le précédent exemple — , à peine rétabli d'une sy-
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philis cérébrale grave, qui s'était accusée notam- ment par deux hémiplégies, se maria et devint père presque immédiatement d'un enfant qui naquit à terme, vivant, sain^ et qui reste encore indemne, à l'âge de six ans, de tout accident spé- cifique.
Voici, enfin, un autre fait qui, à coup sûr, vous paraîtra peu croyable et dont je puis cependant vous garantir l'authenticité. Un jeune homme con- tracte en 1872 une syphilis qui ne tarde pas à re- vêtir une forme maligne. — En 1878, il sidjit une effroyable poussée de syphilides ectliymateuses ou rupiales; puis, il est pris d'une syphilis cérébrale des plus menaçantes. Il n'échappe véritablement à la mort que par miracle. — L'année suivante, nou- velle invasion de syphilides de même gravité. — Or, cette même année, malgré tout ce que je pas dire et faire, ce jeune homme se maria ! Sa femme de- vint enceinte presque aussitôt, et accoucha d'un enfant saint
Notez, de plus, que cet homme était si peu guéri à l'époque où il procréa cet enfant que, chacune des trois années suivantes, il fut encore repris de divers accidents spécifiques (hémiplégie nouvelle, syphilides tuberculeuses, etc.).
II. — En second lieu, se présente un résultat d'observation bien autrement important à enregis- trer pour la pratique.
C'est que la bénignité cVune syphilis n'est en
SYPHILIS BÉNIGNES. SYPGILIS GRAVES. l5l
rien une garantie de bénignité quant à ses consé- quences héréditaires.
Sans doute une syphilis bénigne comme symp- tômes peut rester bénigne quant à ses résultats d'hérédité. Mais cela n'a rien d'obligatoire, de forcé. Le contraire peut tout aussi bien se produire et se produit fréquemment.
Il est absolument commun, en effet, de rencon- trer des syphilis qui, moyennes ou même légères, voire presque insignifiantes quelquefois en tant que symptômes personnels, sont devenues graves, pernicieuses même (le mot n'a rien d'exagéré), en tant que conséquences d'hérédité.
Laissez-moi vous citer sommairement une dizaine d'exemples, comme spécimens du genre.
Obs. I. — Père syphilitique; — syphilis le'gère. — Mère saine.
— Deux enfants morts : l'un, à quelques jours, de faiblesse congé- niale ; — le deuxième, à deux mois, d'accidents multiples de syphilis héréditaire.
Obs. II. — Père syphilitique ; — syphilis légère. — Mère saine.
— Trois fausses couches.
Obs. m. — Père syphilitique; — syphilis légère. — Mère saine.
— Trois enfants morts; le dernier affecté de syphilis dûment con- statée.
Obs. IV. — Père syphilitique ; — syphilis légère. — Mère saine.
— Cinq grossesses: deux fausses couches; — deux enfants mort-nés ;
— un seul enfant (le cinquième) survivant et sain.
Obs. V. — Père syphilitique; — syphilis légère. — Mère saine.
— Quatre fausses couches.
Obs. VI. — Père et mère syphilitiques ; — syphilis légère chez l'un et chez l'autre.
Dix grossesses : six enfants morts (syphilis héréditaire constatée sur deux d'entre eux) ; — quatre enfants vivants, paraissant indemnes.
Obs. VII. — Père et mère syphilitiques; — syphilis légère chez les deux parents.
132 L HEREDITE SYPHILITIQUE.
Premier enfant mort; — deuxième enfant survivant, mais encore affecté aujourd'hui (à l'âge de quinze ans) d'accidents de syphilis héréditaire tardive.
Ohs. VIII. — Père sain. — Mère syphilitique, mais n'ayant jamais présenté que des accidents très légers (taches palmaires el maux de tête).
Quatre grossesses; quatre fausses couches.
Obs. IX. — Père et mère syphilitiques; — chez tous les deux, syphilis légère.
Trois grossesses: deux fausses couches; — le troisième enfant survivant, mais syphilitique.
Obs. X. — Enfin, une très curieuse observation, que je dois à mon collègue et ami le D"' A. R..., nous montre l'exemple d'un jeune homme qui, traité dès le début de son chancre, et longtemps, assi- dûment traité, resta exempt de toute manifestation spécifique^ c'est-à- dire ne présenta même pas le plus léger accident secondaire, n'en présenta pas un, pas un seul, et n'aboutit pas moins, trois ans plus tard, à procréer un enfant qui infecla sa mère in utero et fut expulsé par avortement.